« Ils commencent à me gonfler tous avec la République »

claude chollet
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( blogue rue89 )

Le truc avec les gros concepts que tout le monde est censé approuver, c’est que tout le monde s’en sert à tour de bras, et qu’ils ne sont pas là pour se défendre.

Alors, certes, faire de la politique consiste dans une assez large mesure à raconter à peu près n’importe quoi avec un ton de certitude, et certains concepts se font passer dessus comme ça avec une belle régularité (coucou « démocratie », « identité », « nation »), mais en ce moment et depuis le changement de nom annoncé de l’UMP, « République » et « Républicains » commencent à avoir un sort vraiment peu enviable.

Au point qu’on en serait presque reconnaissant aux cadors de l’UMP de mettre le sujet comme ça sur la table, parce que cela permet de s’apercevoir que ça fait un beau bout de temps que tout le monde se fait plaisir avec, et que dès qu’il s’agit d’appuyer un truc discutable, le label « République » sort du tiroir.

Dans la catégorie emplois douteux…

Dans le grand best of des emplois douteux, plein de mentions spéciales :

  • le grand classique « République-laïcité », notamment appuyé par le champion toutes catégories Nicolas Sarkozy, qui récidive dans sa lettre ouverte aux militants UMP avec un joli « la République, c’est le mérite et l’excellence » (sorti de nulle part) ;
  • le très WTF « République ou burqa », qui apparaît chez Sarkozy aussi mais qui a aussi de réels théoriciens ;
  • l’ultra-courant « République contre FN », notamment réapparu récemment chez Manuel Valls en pleine Assemblée nationale ;
  • le plus barré « fête du cochon-République », qui nous vient lui tout droit du FN lui-même.

On en serait presque d’accord avec une citation récente du vieux Le Pen, qui a au moins un certain don pour saisir l’esprit du temps : « Ils commencent à me gonfler tous avec la République » (après il part dans un délire douteux sur la nation, mais bon, c’est déjà ça).

On a donc compris que dans le contexte actuel, la République c’est ce qui est bien, et ce qui est contre la République, c’est ce qui est mauvais. Chouette. Mais si on pouvait juste faire un tout petit peu d’efforts avec le terme, on réussirait peut-être à recentrer un poil le débat.

Un mot qui ne veut rien dire de particulier

Si l’on prend par exemple l’étymologie, surprise, « res publica » désigne littéralement la chose publique – ce qui ne veut très exactement rien dire en soi, si ce n’est que tout le monde en parle – et est globalement utilisée par Cicéron comme traduction du terme grec de politeia (qui est tout aussi large, mais désigne globalement la forme de gouvernement). Rien de spécifique donc, et le mot n’existe même pas en tant que tel avant la Renaissance, où des auteurs italiens commencent à souder les deux mots pour désigner leurs gouvernements urbains.

Cela dit, il est vrai qu’on oppose aujourd’hui la période républicaine à la royauté (avant le renversement des Tarquin) et à l’Empire après le principat de César puis d’Auguste (donc avant -52, globalement), mais la désignation est entièrement postérieure, et tout régime politique était une res publica à Rome (la monarchie comprise).

La naissance d’une référence

L’apparition de la définition de République qu’on emploie à la louche aujourd’hui (en gros un régime dont la légitimité vient du peuple) apparaît globalement au XVIIIe siècle, notamment chez Montesquieu dès les premières lignes du deuxième livre de « L’Esprit des Lois », avant de se perpétuer au long du XVIIIe siècle, notamment à travers l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :

« Il y a trois espèces de gouvernements : le républicain, le monarchique et le despotique. »

On pourrait détailler la chose, mais on voit assez bien l’idée, d’association entre souveraineté populaire, relative liberté et République ; tout en remarquant que cela reste très vague, mais positif.

Mais ce n’est pas la seule définition possible, et le terme se définit de manière très lâche tout au long du XVIIIe siècle, plus ou moins en lien avec l’idée d’un gouvernement libre (ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement contradictoire avec une monarchie, par exemple « éclairée »), comme le montre parfaitement une citation célèbre du Contrat social de Rousseau :

« Tout gouvernement légitime est républicain. »

La Révolution Française

C’est d’ailleurs pleinement comme cela que le mot entre dans l’univers de la Révolution française, comme un synonyme du bon gouvernement et de la démocratie en s’appuyant sur les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : d’abord contre le régime censitaire et le pouvoir économique et politique des propriétaires, puis seulement dans un deuxième temps contre la monarchie, à la suite de la fuite du roi et de son arrestation à Varennes en 1791.

C’est alors que la République apparaît progressivement comme un remplacement possible de la monarchie, et en devient de facto l’antonyme lorsqu’en septembre 1792 la monarchie est abolie et que l’an I de la République est proclamé, mais le mot n’a toujours pas de contenu plus détaillé que le « bon gouvernement » – ce qui donne d’ailleurs lieu à des débats sans fin à la Convention entre ceux qui mettent au premier plan de la République la liberté (des propriétaires essentiellement), et ceux qui mettent en avant le bien-être (du peuple).

Le processus se finalise du coup à travers l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, où l’incompatibilité de la République et de la monarchie s’établit définitivement (et fait un peu disparaître la complexité de la notion), en affichant aux yeux de toute l’Europe qu’il serait difficile de revenir en arrière désormais, et en posant la République française comme un symbole de l’opposition à la monarchie.

Pas clair pour autant

Cela ne lève pas pour autant les ambiguïtés, et le mot ne cesse de prendre des sens différents tout au long des XIXe et XXe siècles, tant tout le monde ne cesse de se réclamer de la République, spécialement depuis 1871 qu’elle est le seul régime en France : quel rapport entre les républicains conservateurs du début de la IIIe République, l’extrême droite de Charles Maurras et de l’Action française des années 30 et les partisans de la VIe République aujourd’hui, qui se revendiquent tous autant de la République et de la Révolution ? Comme le formule parfaitement l’historien Claude Nicolet dans « L’Idée républicaine en France » :

« Pour s’entendre, il faut prêter à la République un nombre presque infini d’épithètes, d’attributs, ou de génitifs possessifs. Petit jeu dont peuvent s’égayer ou s’attrister, selon l’humeur, l’historien et le citoyen. Nous avons eu des Républiques girondine, montagnarde, thermidorienne, directoriale, césarienne, impériale. Une République des ducs, mais aussi (pour égrener les titres de livres célèbres) une République des camarades, des comités, des professeurs, des députés ; nous avons la République au village, la République rurale, celle de la Commune de Paris ; des Républiques conservatrices, opportunistes, libérales, radicales, démocratiques ; une République bourgeoise, mais aussi d’autres, sociales ou socialistes : la mariée est vraiment trop belle. »

Ainsi, « l’imprécision redoutable » de la notion n’est pas nouvelle, et c’est un sport assez établi que de se réclamer de la République tout en racontant n’importe quoi ; mais il est assez nouveau de se réclamer de la République pour raconter n’importe quoi, et l’on pouvait compter jusqu’à présent sur une certaine sobriété, voire une certaine décence dans l’emploi, qui permettait à la notion de garder sa force et sa religiosité même, comme le relevait encore C. Nicolet au début des années 80 :

« Il est remarquable que ce mot, apparemment si galvaudé en France, garde malgré tout intactes certaines capacités émotionnelles qui font que, dès qu’il est prononcé d’une certaine manière, chacun devient attentif, et dresse l’oreille : on n’invoque guère la République, dans le discours politique français, que lorsque sont en cause, derrière l’agitation ou les prétextes, les choses vraiment fondamentales. »

Comparez la citation à l’emploi frénétique et très WTF du terme (cf. plus haut), qui tourne en boucle dans les discours et les interventions politiques, sur les chaînes infos et les réseaux sociaux, désormais dans le prochain nom même d’un parti (et donc de ses représentants) en France, et vous conclurez sans doute qu’on a changé d’époque.

C’est-à-dire qu’on passe clairement de la captation d’héritage classique à l’OPA sur la définition de la République – dont on peut parier qu’elle donnera lieu à tellement de bêtises différentes qu’elle finira par démonétiser complètement le mot (« liberté » est passée par là, elle peut en parler aussi).

C’est dommage, le concept n’était pas dégueu, il aurait pu encore servir.

( source )

(ShrimpMan/Wikimedia Commons/CC)

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Loi Santé: L’expérimentation des «salles de shoot» votée par l’Assemblée nationale

La ministre de la Santé Marisol Touraine a défendu mercredi l'expérimentation d'une salle de shoot à Paris, estimant qu'il fallait apporter "des réponses sans tabou" au problème de la toxicomanie. - Joseph Eid afp.com
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L’Assemblée nationale a adopté mardi soir, après plus de 4 heures de vifs débats entre la gauche et l’UMP, l’expérimentation de salles de consommation de drogue à moindre risque, communément appelées «salles de shoot», pendant six ans maximum.

Ces salles sont destinées aux toxicomanes précarisés, qui se droguent dans la rue dans des conditions d’hygiène précaires. Elles ont aussi pour objectif de réduire les nuisances dans l’espace public. L’article 9 du projet de loi de modernisation du système de santé, porteur de cette mesure, a été adopté par 50 voix contre 24.

L’Assemblée nationale a entamé fin mars deux semaines d’examen marathon du projet de loi sur la santé de Marisol Touraine. Le texte est vivement combattu par la droite, notamment pour son volet sur la généralisation du tiers payant, mais à même de souder la gauche.

«Antichambres de la mort», accuse l’UMP

«Aidez plutôt les toxicomanes à guérir qu’à s’autodétruire», a lancé le député UMP de Paris Philippe Goujon, son collègue Yannick Moreau déclarant que, «si on osait, on pourrait même les appeler des  »antichambres de la mort »».

Ces salles, déjà expérimentées dans une dizaine d’autres pays (la plus ancienne en Suisse a été créée il y a trente ans), sont destinées à des toxicomanes majeurs précarisés, qui se droguent dans des conditions d’hygiène précaires, souvent dans la rue ou des halls d’immeuble, selon la majorité. Outre une réduction des risques liés aux injections (infection au VIH, hépatite C…) et une amélioration de l’accès aux soins des usagers de drogues les plus marginalisés, ces salles ont aussi entre autres objectifs une diminution des nuisances dans l’espace public.

l s’agira de locaux gérés par les professionnels des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogue (Carrud), où sera autorisée la consommation des substances illicites apportées par ces toxicomanes dans la limite de leur consommation, sous la supervision d’une équipe pluridisciplinaire, avec des professionnels de santé et du secteur médico-social.

800.000 euros par an

Les toxicomanes détenant pour leur seul usage et consommant des stupéfiants dans ces salles ne pourront être poursuivis pour usage et détention illicite. De même, les professionnels intervenant dans ces salles ne pourront pas être poursuivis pour complicité d’usage illicite de stupéfiants notamment, s’ils agissent conformément à leur mission de supervision.

Le coût de ces salles est estimé à environ 800.000 euros par an, si l’on se base sur le projet d’expérimentation parisien, a indiqué la ministre de la Santé Marisol Touraine, soulignant face aux critiques de la droite que le gouvernement consacrait par ailleurs 388 millions d’euros par an à la prévention et à la lutte contre les addictions.

Sondage Le Point : Bruno Le Maire préféré à Sarkozy par les Français ?

Sondage Le Point : Bruno Le Maire préféré à Sarkozy par les Français ?
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Un sondage paru dans Le Point l’affirme : « UMP : Le Maire préféré à Sarkozy par les Français ». Le premier problème est que ce sondage, qui prétend avoir interrogé « les Français » a été réalisé auprès de 1012 internautes ce qui n’a, bien entendu, rien à voir avec les Français. On peut estimer à la moitié d’entre eux les pratiquants d’internet capables de répondre à un sondage en ligne.

Mais il y a mieux : le niveau de désinformation atteint par le titre est invraisemblable quand on analyse les résultats. Il est rare que des résultats soient interprétés à l’envers avec une impudence aussi spectaculaire.

Le seul point sur lequel Bruno Le Maire obtient une meilleure impression générale, c’est la qualité de sa campagne. 45 % des interrogés trouve que Le Maire a mieux travaillé son sujet (contre 40% à Sarkozy).

Mais tout le reste est favorable à Sarkozy ! Pour 61% des sympathisants de droite, il fait la meilleure campagne. Pour les détenteurs de la carte UMP, c’est 65%. Toutes catégories confondues à droite, c’est 65%.

Il semble ainsi que nous soyons face à un mensonge délibéré, destiné, une fois de plus à favoriser la candidature d’Alain Juppé (voir ici ou ). Mais les faits peuvent être plus têtus encore que Le Point !

Crédit photo : ump-photos via Flickr (cc)