Presse : la fin du papier ?

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700 millions d’euros de subventions publiques pour la presse française, sans compter le taux super-réduit de TVA et la niche fiscale pour les journalistes : et si tout cela ne faisait que reculer l’inéluctable, à savoir la disparition programmée de la presse papier ?

C’est en tout cas l’avis de l’écrivain et journaliste suisse Jean-François Fournier qui dans le numéro 2 de L’Antipresse prévoit une presse 100% numérique. L’Antipresse est une lettre gratuite publiée par l’éditeur et écrivain suisse Slobodan Despot que l’on peut retrouver sur Tumblr (antipresse.tumblr.com), sur Twitter (antipresse_net) et sur Facebook. Cet article est reproduit avec l’aimable autorisation d’Antipresse.


AU PRESSE-CITRON de Jean-François Fournier – Les journaux papier sont morts : vive le numérique !

Le déclin de la presse traditionnelle est irréversible, mais le monde du Net nous réserve un avenir captivant, pour peu qu’on s’y investisse vraiment.

« Mais pourquoi diable lancer une lettre d’information alors qu’il y a tant et tant de journaux ? » m’avez-vous interpellé — et en nombre — depuis la sortie de L’Antipresse. Or, c’est précisément les embouteillages et les dysfonctionnements qui paralysent le marché médiatique qui sont à l’origine de ce projet. S’agissant de la situation économique de nos journaux, les chiffres pullulent, mais certains ont le mérite de montrer l’ampleur de la crise qui décime la presse papier. Sachant que les mêmes mouvements sont constatés en Europe quelques années après s’être manifestés aux États-Unis, examinons donc la situation en Amérique du Nord. Là-bas, les deux mamelles de la presse sont désormais vides ou presque. Ainsi, de 2006 à 2014, l’industrie des journaux y a perdu 63 % de ses revenus publicitaires (soit quelque 30 milliards de dollars), et 22 % de son tirage payant. En dix ans, ce sont plus de 150 titres qui ont disparu en Amérique, pour 25’000 postes de journalistes. Une agonie clairement irréversible pour les analystes média.

« Et l’Europe ? » me direz-vous. Elle a eu ses victimes, France Soir et La Tribune, pour prendre deux exemples proches connus de tous. Une récente enquête française (source : l’excellent Journal du Net) pronostiquait la disparition de l’information sur papier. De façon certaine pour 13 % des personnes interrogées. De façon probable pour 29 % d’entre elles. Le plus inquiétant dans cette étude, c’est la pyramide des âges, qui voit 53 % des 15-19 ans prévoir la disparition du papier d’ici quelques années, et 47 % des 20-24 ans. En termes industriels, le secteur français des arts graphiques a, lui, perdu 37 % de ses emplois ces dix dernières années. Un chiffre qu’on retrouve grosso modo un peu partout sur le Vieux Continent, sauf en Allemagne où les grands éditeurs de type Springer tirent encore leur épingle imprimée du jeu. Moralité : pour l’info à l’ancienne, la relève n’existe donc plus…

Les journalistes doivent dès lors « se repenser » de fond en comble, évoluer, et transmettre différemment leurs connaissances, travaux et autres recherches. Dans les grands groupes suisses, tels Tamedia ou Ringier, le processus est en marche et les investissements d’avenir se font désormais essentiellement dans le numérique, soit par rachats d’entités existantes, soit par projets autoporteurs. En France aussi, la restructuration bat son plein : la Bourse de Paris et le CAC 40 ne bruissaient-ils pas cette semaine des rumeurs de rachat de Bouygues Telecom et de TF1 par Orange ? Là encore, l’exemple américain agit comme un moteur et la réussite de la « numérisation » du vénérable New York Times — qui gagne aujourd’hui davantage dans le virtuel que sur le papier — fait rêver les patrons de presse européens. Et même les modestes éditeurs de lettre d’information que nous sommes à L’Antipresse : après tout pourquoi pas ?

In fine, le destin de nos chers journaux tient tout entier dans une actualité québécoise chère à mon cœur. Correspondant au Canada de 1994 à 1996, je vivais à Outremont, au centre de Montréal. Et l’hiver, qu’importent la température et les chutes de neige, ma journée commençait rituellement par une visite au dépanneur du coin pour acheter La Presse, le quotidien incontournable de la Belle Province. Dans quelques jours, dès le 1er janvier 2016, tout ceci ne sera plus que souvenir pour les Montréalais, puisque leur journal deviendra, sous le titre La Presse+, le premier quotidien imprimé au monde à être 100 % numérique en semaine. L’occasion de préciser que la presse papier du week-end est appelée à survivre un peu plus longtemps puisqu’il s’agit des seuls jours où le citoyen consommateur se déclare prêt à consacrer davantage de temps à la lecture.

Pari fou, que celui de La Presse ? Nenni non point, car ce journal totalise aujourd’hui 465’926 lecteurs-tablette. Autrement dit : 30 mois après son lancement, le numérique a supplanté en termes de performance un classique âgé de 131 et chéri de ses lecteurs, dont la majorité affiche désormais moins de 50 ans, bel exploit ! Le doute n’est plus permis : ce modèle économique s’imposera très vite à travers toute l’Europe.

Cela dit, en France comme en Suisse, l’heure est encore aux subventions pour reculer l’inéluctable. Dans l’Hexagone, le montant total des aides diverses à la presse avoisinait les 700 millions d’euros en 2014, dont un volume global de 226 millions pour les 200 titres de presse les plus aidés. Le secteur de la presse y bénéficie en outre d’un taux super-réduit de TVA, d’une niche fiscale pour les journalistes, du plan IMPRIME pour la modernisation sociale du secteur de la presse, ainsi que d’exonérations fiscales et sociales diverses. Les titres de presse les plus subventionnés ? Le Figaro (15 Mio), Aujourd’hui en France (14 Mio) et Le Monde (13 Mio), suivis par La Croix, Ouest France et Libération (environ 8 Mio), ou encore Télérama (7 Mio) et L’Humanité (6 Mio).

En Suisse, la semaine dernière, le Conseil fédéral a fixé à quelque 50 millions de francs l’aide indirecte à la presse. 142 publications de la presse locale et régionale remplissent les conditions requises pour bénéficier de cette bouffée d’oxygène. En catégorie presse associative et presse de fondations, 1066 journaux et périodiques ont, eux aussi, droit au coup de pouce fédéral.

Après ça, y a-t-il encore quelqu’un qui se demande pourquoi nos sources d’informations, qu’elles soient françaises ou suisses, se montrent si peu critiques envers nos dirigeants ?

À toutes et tous — et vous êtes déjà plus de 1000 depuis notre lancement la semaine dernière — L’Antipresse souhaite une bonne et numérique lecture dominicale !

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Crédit photo : clarkent2007 via Flickr (cc)

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Médias : le papier a-t-il encore un avenir ?

Médias : le papier a-t-il encore un avenir ?
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Selon les papetiers britanniques, les lecteurs préfèrent le papier au numérique pour les sujets complexes. Source : ojim.fr

Une étude britannique sortie fin juin dernier permet d’affirmer que le papier a encore sa chance. Mais essentiellement pour les sujets « compliqués » – par exemple les enquêtes au long cours ou les articles dont la densité informative est très importante. Cependant cette étude plaide pour ceux qui l’ont commanditée…

L’enquête menée par l’association professionnelle Two Sides et confiée au bureau d’études Toluna a été menée sur 500 consommateurs du Royaume-Uni – un panel qui peut paraître un peu court quand on sait que le pays compte plus de 64 millions d’habitants et que les médias anglais ont par ailleurs accès à l’ensemble des locuteurs anglophones – dont les seuls natifs sont plus de 360 millions. Cependant, d’après ce panel, il apparaît que « 83 % préfèrent lire sur papier pour les sujets les plus complexes », et 84 % estiment qu’ils mémorisent et réutilisent mieux des informations lorsqu’elles sont sur support papier plutôt que web.

Selon Martyn Eustace, directeur de Two Sides, « cela indique qu’il y a encore une façon plus fondamentale et humaine dans laquelle nous réagissons à la physicalité de l’impression sur papier ». Cependant, l’on pourra nuancer ce constat ; Martyn Eustace en particulier a passé l’essentiel de sa carrière dans des groupes papetiers, et, comme l’explique son CV, Two Sides « raconte l’histoire selon laquelle l’imprimé et le papier sont parmi les matériaux les plus naturels que l’on utilise. L’imprimé a une efficacité fantastique, tant pour les études et l’éducation que comme publicité ». Il est d’ailleurs régulièrement interrogé dans les médias spécialisés où il défend la cause du papier et sa nature écologique, bien que les impacts de cette industrie sont connus et font toujours des ravages, notamment dans les pays en voie de développement.

Du reste, il n’existe pas vraiment d’opinion tranchée sur l’efficacité supérieure du papier sur le web ou inversement. Internet Actu interrogeait en 2009 plusieurs spécialistes du sujet – psychologues, rédacteurs de site web spécialisés, scientifiques etc. Il en ressortait que c’était essentiellement le calme qui était profitable à l’acception des informations, qu’elles soient sur un support web ou papier. Des chercheurs californiens avaient également constaté que la lecture sur le web stimulait plus le cerveau du lecteur que la lecture papier.

Un constat semble en revanche faire consensus : la lecture sur le web, basée sur le repérage de mots-clés, est plus sélective. Une étude réalisée en France sur un échantillon de 1165 individus âgés de 18 à 65 ans pour le syndicat de la presse sociale confirme que le web est préféré par les lecteurs pour partager une information avec son entourage, connaître rapidement l’essentiel du sujet ou la réponse à une question précise. Des résultats qui recoupent en partie ceux de l’étude commanditée par les papetiers britanniques.

Crédit photo : Goodluz via Shutterstock (DR)