L’organisation indépendantiste basque ETA a refait parler d’elle, jeudi 28 mai. Une opération, menée par la police judiciaire de Bayonne, la sous-direction antiterroriste de la PJ et la direction générale de la sécurité intérieure, en collaboration avec la Guardia Civil espagnole, a permis de découvrir des dizaines d’armes et plusieurs kilos d’explosifs, appartenant à l’organisation, dans une villa cossue de Biarritz.
Ce coup de filet rappelle que l’organisation indépendantiste est encore présente sur le territoire français. Ce qui n’a pas surpris Jean Chalvidant, spécialiste de la question basque, et auteur de plusieurs livres sur l’organisation, dont Secrets d’ETA (Picollec, 2012) : « D’après mes informations, il y aurait près de 150-200 étarras [militants d’ETA] en France, dont seulement une vingtaine directement opérationnels. Et on estime leur arsenal à environ 200 pistolets et revolvers et 5 000 kg d’explosifs. »
Un désarmement rejeté
Pour ce membre du département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines, à l’université Paris-II, il est très compliqué aujourd’hui de reconnaître des militants qui se sont fondus dans la société : « Ils vivent au grand jour, payent leur loyer et envoient leurs enfants au collège. L’image d’un étarra planqué dans un grenier fait partie du passé. »
Même si ETA a renoncé à son activité armée en 2011, les militants indépendantistes rejettent, jusqu’ici, tout plan de désarmement. Une faute de la part d’ETA et du gouvernement espagnol pour Gorka Landaburu, directeur du mensuel espagnol Cambio 16 : « Depuis 2011, l’organisation est en stand-by. Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, veut une dissolution de l’organisation avant toute discussion sur les armes alors qu’ETA souhaite parler des armes, avant d’évoquer une dissolution. C’est une situation surréaliste. » Le chercheur Jean Chalvidant a une explication à ce statu quo : « Si ETA ne rend pas les armes, c’est qu’elle ne veut pas qu’elles servent à expliquer 300 assassinats, expertises balistiques à la clé, qui pourraient impliquer plusieurs de ses membres. »
« Mariano Rajoy attend que la situation pourrisse »
Mais si l’opération menée à Biarritz rappelle que la question basque n’est pas réglée, ce n’est plus une priorité en Espagne, selon Gorka Landaburu : « Madrid ne considère plus ETA comme un problème ni comme une priorité. Rajoy attend que la situation pourrisse, alors qu’il avait la possibilité de mettre un point final à l’organisation. C’est une erreur. » Le journaliste estime que ce dernier coup de filet sert surtout le gouvernement espagnol qui « avait besoin de redorer son blason après les élections municipales du 24 mai [marquées par la percée du parti Podemos] ».
Depuis les attentats de la gare d’Atocha à Madrid en 2004, la question des terroristes djihadistes a supplanté celle des terroristes basques, précise Jean Chalvidant : « ETA est en phase terminale. Ce qui a permis aux services français et espagnols de se redéployer sur des objectifs et des cibles plus urgents, les djihadistes. »
Après avoir arrêté la lutte armée en 2011, ETA s’est lancé dans le combat politique au sein des partis Sortu et EH Bildu. Lors des dernières élections municipales, le parti des indépendantistes de gauche EH Bildu a rassemblé près de 24 % des électeurs du Pays basque. Pour le chercheur Jean Chalvidant, « c’est un résultat inférieur à celui de 2011 (25,94 %), qui ne lui a pas permis de conserver des fiefs comme Saint-Sébastien, Bergara, Tolosa… La faute à un trop grand sectarisme. » Un constat partagé par Gorka Landaburu : « Depuis quatre ans, ils sont passés des pancartes à la gestion. Et les Basques sont très critiques contre leur travail car ils ont gouverné pour eux-mêmes. »
Pour le directeur de Cambio 16, le statu quo va se poursuivre au moins jusqu’aux prochaines législatives, en décembre 2015 : « Il peut y avoir des opérations policières ponctuelles, pour faire pression sur ETA et montrer aux Espagnols que la lutte continue. Mais maintenant il faut trouver une solution durable beaucoup plus politique. »
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