Source : Ojim.fr – Le moins que l’on puisse dire, c’est que le passage d’Éric Zemmour dans « C à Vous » le 6 septembre dernier n’aura pas laissé les téléspectateurs indifférents.
Très regardé et très partagé, l’extrait aurait également choqué un certain nombre de personnes. Sur Twitter, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a ainsi indiqué avoir reçu « plus de 700 signalements concernant l’émission ».
+ de 700 signalements concernant l’émission #CàVous (6/09) ont été reçus via https://t.co/Wz9ntYlc1j. Le dossier sera instruit prochainement
Ce jour-là, Éric Zemmour était venu présenter, face à Anne-Sophie Lapix et Patrick Cohen, son dernier livre, Un Quinquennat pour rien (Albin Michel), recueil de ses chroniques RTL précédé d’un texte de 50 pages intitulé « La France au défi de l’islam ». Sur le plateau, le chroniqueur a expliqué sa position habituelle sur la question, en répétant notamment qu’« il n’y a pas de musulmans modérés ».
Et ce dernier d’ajouter qu’« il y a simplement des gens qui appliquent à la lettre et d’autres qui n’appliquent pas à la lettre. Mais ils savent qu’ils ne sont pas des bons musulmans ». Aussi, l’écrivain a précisé que « le djihad militaire est un élément fondamental de l’Islam. Et les soldats du djihad sont considérés par tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme des bons musulmans, qui osent ».
C’en était trop pour ces fameux 700 téléspectateurs qui ont choisi de saisir le CSA. De son côté, le Conseil a annoncé que le dossier allait être « instruit prochainement ». Il est à noter qu’en 2014, RTL avait reçu une mise en garde de ce même CSA pour une chronique de l’intéressé, ses propos de l’époque ayant été considérés par le gendarme du PAF comme susceptibles d’engendrer des comportements discriminatoires…
Source : Ojim.fr – Depuis la rentrée, le talk show star du samedi soir enchaîne « buzz » et scandales systématiques selon une mise en scène des échanges très révélatrice de l’évolution du climat idéologique. – Claude Chollet
Au temps de l’ORTF, soit la préhistoire de la « culture » télévisuelle, la tendance, dans une émission politique ou culturelle, était d’inviter un écrivain, un acteur, un responsable politique et de l’interroger avec déférence sur des sujets qu’il connaissait et à propos desquels il ou elle avait généralement quelque chose à dire. Voilà qui paraît aujourd’hui aussi ahurissant que désuet, et pourtant… L’esprit libertaire qui soufflait dans les années 80 offrit dans l’émission « Droit de réponse » de Michel Polac sans doute les premiers grands « clashs » mémorables. Plus de déférence, moins d’écoute, certes, mais une forme égalitaire du débat respectant relativement les règles du jeu, et au cours duquel chacun, en buvant et en braillant à travers d’épais nuages de fumée, avait réellement le droit de dire ce qu’il lui plaisait et d’insulter qui lui chantait, le tout dans un joyeux bordel dénué de réelle instance de censure ou de référent moral comminatoire. Cela nous paraît aujourd’hui témoigner d’une licence invraisemblable et antédiluvienne. Puis Thierry Ardisson, au cours des années 90, et Canal+ à sa suite, inventèrent une nouvelle mise en scène des échanges. Non seulement, on se mit à mélanger des invités de milieux a priori incompatibles et à traiter sur le même plan une starlette de 22 ans et un député d’âge mûr, mais surtout, les invités cessèrent d’être les vedettes évidentes de ce genre d’émission, pour devenir parfois de simples faire-valoir de l’animateur lui-même et de son comique affidé. Au lieu d’accueillir comme un prince l’artiste en promotion afin que son aura fasse rayonner l’émission, celui-ci se trouvait relégué à constituer avec d’autres une espèce de cour répartie devant le trône de l’animateur-roi attendant son tour d’audience. Lorsque celui-ci venait, il se pouvait même que le ministre ou la starlette se fasse malmener, que le roi exhibe son intimité ou que le bouffon du roi l’humilie d’une plaisanterie douteuse.
D’un plateau l’autre
Au courant des années 2000, c’est Laurent Ruquier, prenant la succession d’Ardisson, qui offre une nouvelle évolution du modèle. Le comique, s’il intervient, est remis à distance, il ne brouille plus le débat ; l’animateur, même s’il trône, reprend le rôle d’arbitre ; et ce sont les chroniqueurs, avec le succès du duo Zemmour et Naulleau, qui captent la position dominante du dispositif. Quant à l’invité, il est moins humilié que très solennellement sommé de s’expliquer à la barre. Clashs, buzz, scores sur YouTube, la formule prend. En dépit du succès, l’animateur décide de se séparer du duo que récupère Paris Première. Il tentera de le reformer avec d’autres chroniqueurs sans réussite flagrante. Et puis voilà que depuis la rentrée 2015, la formule, à nouveau se transforme… Après l’animateur, le comique, les chroniqueurs, c’est de nouveau l’invité lui-même qui fait le show. Mais pas n’importe quel invité : le mal-pensant. Houellebecq, Onfray, Lejeune, Morano, Finkielkraut : chaque samedi soir, l’émission lance sa boulette de soufre. Chaque samedi soir, Léa Salamé, sur la défensive, rappelle que la Pensée dominante a changé de camp.
Qu’est-ce que cette évolution télévisuelle peut donc traduire sur le plan de l’évolution des opinions et sur le rapport que cette évolution entretient avec le pouvoir médiatique ? C’est ce que l’OJIM a tenté de décrypter.
Chaque mutation est un indice
En réalité, chacune de ces mutations télévisuelles est un indice très clair de l’évolution du climat idéologique. Chacune indique soit un changement de règne, soit un changement de contexte général, soit un changement dans l’opinion dominante. La disposition du plateau traduit la pratique générale du débat. Prenons cette première mutation introduite avec l’émission de Polac, « Droit de réponse ». Démarrée en décembre 81, elle est expressément révélatrice de l’arrivée de la gauche au pouvoir quelques mois auparavant et elle porte en effet toutes les valeurs que cette dernière défend alors. Si l’ORTF gaulliste demeurait hiérarchique et patriarcale, « Droit de réponse » est une émission égalitaire et débraillée. Les gamins se révoltent contre l’autorité de papa et cette espèce de fondement œdipien des formes les plus adolescentes de la pensée de gauche est parfaitement sensible au visionnage de quelques séquences du show de Polac. On constate également par ailleurs l’importance du choc des générations, et comment la vulgarité et le débraillé des nouvelles, qui bientôt feront loi, ulcèrent encore les plus anciennes.
Le grand déballage
L’émission révèle toute l’atmosphère d’une époque qui voit se multiplier les radios libres et où est créée la fête de la musique – événement on ne peut plus emblématique. Ce n’est plus l’homme de savoir ou la personne concernée qui dispose d’une légitimité à s’exprimer, mais tout le monde, n’importe qui, surtout n’importe qui. Et de la même manière que n’importe qui peut massacrer les classiques du rock en plein centre-ville un soir dans l’année, n’importe qui peut donner son opinion sur n’importe quel sujet à la radio ou à la télévision, des lycéens au journaliste de Minute. Cet ultra-libéralisme du débat, relativiste, confusionniste et égalitaire, même s’il fait la plupart du temps échouer celui-ci dans la provocation ou l’insulte, est néanmoins cohérent et ignore la censure directe comme indirecte. Bien avant les obsessions hygiénistes des années 2000, les invités ont le droit de fumer et de boire sur le plateau, comme ils ont le droit d’exprimer ce qu’ils veulent et sur le ton qu’ils désirent. Cette nouveauté et cette liberté de ton possèdent en elles-mêmes la dimension sulfureuse suffisante pour capter l’audimat. Et nous verrons que ce dernier point est tout à fait crucial pour assurer la réalisation d’une mutation.
Trouble jeu
Durant les années 90, avec notamment l’émission « Double jeu », et jusqu’au milieu des années 2000 avec le succès de « Tout le monde en parle », Thierry Ardisson est à la pointe du talk-show dont il révolutionne les codes. Or, la mutation qu’il incarne coïncide avec l’hégémonie libérale-libertaire. Pour faire vite, la gauche socialiste a accepté le marché et son idéologie libertaire est devenue compatible avec le libéralisme économique. Cette symbiose implicite se réalise par ailleurs sur les décombres de l’alternative communiste et alors que l’offensive islamiste anti-occidentale n’est pas encore ébauchée. Dans cette époque de fin de l’Histoire et d’épuisement des luttes idéologiques, le soufre fait cruellement défaut dans les débats. Le clivage droite-gauche devient de plus en plus factice, le grand consensus règne. D’ailleurs, Ardisson a beau mélanger les invités, faire asseoir un rappeur à côté d’un ministre, en réalité tous vomissent plus ou moins le même filet d’eau tiède. Mais l’animateur a une idée très simple pour parvenir à faire malgré tout monter la température : le sexe. La séquence où Ardisson demande à Michel Rocard si « sucer, c’est tromper ? » est restée célèbre. On en a fait un symbole de la dégradation du politique par des médias branchés et cyniques. Certes. Mais on peut voir aussi cela selon un autre angle. Puisque plus aucun politique ne tenait un discours véritablement original ou subversif, l’animateur n’avait trouvé comme seul recours pour pimenter un rien la soupe des propos convenus, que d’évoquer l’exégèse d’une fellation avec un vieux notable. On a les condiments qu’on peut…
Nouvelle aristocratie
Par ailleurs, du joyeux bordel relativiste des années 80, Ardisson et l’esprit qu’il incarne vont peu à peu faire surgir une nouvelle aristocratie médiatique constituée essentiellement de chanteurs, d’artistes mineurs ou d’actrices. Si ceux-ci sont les perroquets de la Pensée Unique qui s’institue définitivement au cours de cette période, il se trouve que les politiques « peoplisés », comme nous l’avons vu, ne racontent de toute manière rien de plus. Alors tant qu’à entendre en boucle les mêmes slogans, autant que celui ou celle qui les répète se trouve être mieux adapté aux règles du média qui l’accueille. Au jeu de la vanne, de la « coolitude », de la provocation sexuelle, de la belle gueule ou de l’émotion de surface, évidemment que l’actrice, le chanteur, la littératrice de confessions médiocres, voire le footballeur, sont meilleurs qu’un député chenu. C’est ainsi qu’une légion à paillettes du politiquement correct prend possession des plateaux de télévision au terme d’une évolution de plusieurs décennies. Il était évident dans les années 60 que l’on trouvait plus raisonnable de demander leur avis sur un sujet de société à Sartre ou Aron qu’à un chanteur yéyé de vingt ans (lequel, d’ailleurs, ne se serait guère cru légitime pour en exprimer un). Mais au cours des années 80, les Coluche, les Goldman, les Renaud, se voient investis de hautes missions morales qu’ils assument d’abord essentiellement par l’invention d’un modèle caritatif spectaculaire, avant que leurs descendants ne jouent tout bonnement aux évangélistes bénévoles de la doxa en vogue.
Jeu de massacre
C’est la rupture de ce consensus dont les starlettes sont devenues l’avant-garde qui va représenter l’enjeu fondamental de la mutation suivante. Après qu’Ardisson, tout en la criblant de cruautés mondaines, a élevé cette nouvelle cour à une légitimité intellectuelle et morale inédite, Ruquier en fait défiler les membres un à un dans son fauteuil pour les soumettre à la question. Et là, par une sorte d’effet bascule, un duo « d’intellectuels vintage », Éric Zemmour et Éric Naulleau, un journaliste politique et un éditeur pétris tous deux de culture classique, dévoilent la vacuité et le dogmatisme en toc dont témoigne en réalité cette pseudo aristocratie de plateau adoubée la génération précédente. Commence alors un jeu de massacre suffisamment jubilatoire pour que le public n’éprouve plus la nécessité d’être tenu en éveil par la complaisance graveleuse d’un Ardisson. Les Patrick Sébastien, Francis Lalanne, les Cali, les Raphaël, les Michaël Youn, les Grand Corps Malade et tant d’autres avec eux, sont renvoyés à leur conformisme, à leur sectarisme, à leur invraisemblable suffisance, à leur inculture, alors que la parole critique reprend le pas sur la culture de la vanne. Non seulement ce soudain basculement répond aux nécessités du spectacle – pour surprendre, il faut sans cesse bouleverser les règles du jeu –, mais, comme toujours, il traduit également une évolution de la société française. Depuis le tournant des années 2000, ceux qu’un universitaire stipendié, Daniel Lindenberg, qualifia de « Nouveaux réactionnaires » dans un livre publié en 2002 (Le Rappel à l’ordre au Seuil) commencent d’ébranler la chape de plomb du politiquement correct à l’intérieur du pays. Mais encore, à l’international, l’attentat du 11 septembre 2001 a comme relancé l’Histoire et le monde s’apprête à redevenir multipolaire. En bref, de toute part : le consensus éclate.
Tous contre seul
Or, une décennie plus tard, il paraît donc que la configuration se remodèle encore. Léa Salamé et Yann Moix, une journaliste étiquetée France Inter et un écrivain vassalisé par BHL : les chroniqueurs sont à nouveau en plein dans le giron du pouvoir médiatico-politique. Ils se retrouvent, de fait, sur la même ligne idéologique que l’animateur, Laurent Ruquier, et donc sur la même ligne également que la plupart des invités pailletés. Mais ce nouveau formatage global du plateau est compensé par l’invitation systématique d’un mal-pensant, au centre, seul contre tous, dont on montre la présumée étrangeté, voire la hideur morale, afin d’exciter l’audience, tout en tentant, à tous contre un, d’en circonscrire la puissance. Ce n’est plus la cour, ce n’est plus le tribunal, c’est le cirque où l’on exhibe le phénomène. Ce n’est plus l’animateur-roi, ce n’est plus le chroniqueur-procureur, c’est l’invité-monstre. Le modèle fondateur de ce nouveau dispositif étant l’invitation d’Éric Zemmour le 4 octobre 2014, puisque le Frankenstein de Laurent Ruquier catalyse à lui-seul le processus à l’œuvre depuis quinze ans. Or, depuis que ce qu’il pensait être sa créature lui a totalement échappé, l’animateur tente par tous les moyens de réparer ce qu’il doit considérer comme une impardonnable faute morale tout en bénéficiant encore de l’aura sulfureuse du journaliste-vedette, et il pense sans doute parvenir à concilier ces deux exigences, morale et spectaculaire, en mettant en scène son encerclement, sa prise au piège, tout en vendant son exhibition. Ce qu’il pense donc avoir réussi l’an dernier au moment de la promotion du Suicide français est devenu le patron de la nouvelle formule. Et comme à la plus éclatante époque de son talk-show, quand y officiait le duo Zemmour-Naulleau, chaque semaine : c’est le buzz.
Localisation de la doxa
Et chaque semaine, Léa Salamé, devant l’invité-monstre, martèle ce dont le système a pris acte : que la pensée dominante a changé de camp. Et chaque semaine, l’invité-monstre lui expose comment ce qui est sans doute valable dans l’opinion publique est néanmoins contredit dans le champ médiatique où la Pensée Unique, reliquat d’un consensus défunt, se trouve pourtant toujours être très largement majoritaire. Très concret, dépassionné, factuel, l’écrivain Michel Houellebecq explique qu’il suffit d’ouvrir les journaux pour considérer qu’en terme de volume de discours produit, la Pensée unique couvre encore 90% du panorama, et que celle-ci peut être classée comme relevant globalement du centre-gauche. Ce qui pose tout de même un problème, puisque sans pour autant que l’opinion des médias se doive d’être strictement conforme à l’opinion publique, un trop grand décalage finit par ressembler à une forme de putsch idéologique, comme si des généraux conservaient autoritairement le pouvoir pourtant perdu de manière flagrante aux élections par leur parti. Ce que Michel Onfray traduit ainsi : « Je critique l’usage privé qui est fait du service public. Vous êtes payés par le contribuable, et quand on est payés par le contribuable, on n’a pas une pensée unique, toujours la même. » Face à Geoffroy Lejeune, dont le roman d’anticipation politique imagine la victoire de Zemmour aux présidentielles, le 26 septembre, et alors que ce dernier explique comment le journaliste, par sa parole dissidente, permet à des millions de gens de « respirer », Léa Salamé a cette réaction ahurissante : « Ils n’ont pas besoin de respirer puisque la plupart des gens pense ça ! » prétend-elle après avoir à nouveau avalisé la droitisation générale de la population. Or, sur le plateau où Léa Salamé officie, qui se trouve autour d’elle ? Yann Moix et Laurent Ruquier, qui pensent globalement comme elle ; Xavier Durringer, touche-à-tout politiquement bien borné dans la gauche des années 80 la plus puérile et sectaire, qu’incarnent indirectement les starlettes de l’époque que sont Géraldine Martineau et Marc Lavoine, lequel s’est récemment illustré parce qu’il exigeait l’accueil des migrants par la France sans pour autant accepter d’en recevoir chez lui ; enfin, Frédéric Chau, une recrue du « Djamel Comedy Club » rendu célèbre par le film bien-pensant Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?… Léa Salamé est donc politiquement en quasi monopole sur un plateau où celui qui pense différemment, tout en étant totalement isolé dans un tel contexte, est pourtant largement représentatif de l’opinion. Mais elle ne voit pas pour quelle raison ses adversaires politiques pourraient éprouver la nécessité de respirer… Pire, Salamé se laisse aller à revendiquer la subversion ! Il faudrait alors considérer en effet « subversif » un dictateur haï qui oserait pourtant aller systématiquement à rebours des vœux de son peuple ! Kim Jong-Un, roi des rebelles du PAF !
Extrêmes et centre
Ruquier annonce alors, sur ce thème plutôt gênant pour sa caste, que la majorité des personnes des médias seraient « plutôt au centre », autant à droite qu’à gauche. Une telle assertion est facile à étayer : en réalité, 74% des journalistes auraient voté Hollande en 2012. Autant dire que les journalistes sont moins « plutôt au centre » que carrément de gauche libérale ! Mais surtout, il est intéressant d’analyser ce que le journaliste insinue en usant d’une telle dichotomie insidieusement « démophobe », pourrait-on dire. Il y aurait un centre ; et des extrêmes. Ce « centre » manifeste bien, en effet, l’alternance unique libérale-libertaire, que le FN taxait d’ « UMPS », semble-t-il à raison, étant donné de tels aveux. Ce centre, dominant dans les médias mais aussi dans les élites, serait par conséquent modéré, raisonnable, conséquent, tandis que les extrêmes seraient le résultat d’exaspérations populistes dangereuses et potentiellement criminelles. Tout d’abord, il peut paraître un rien délirant de supposer « raisonnable » un « centre » qui a mené le pays dans une telle situation de crise globale, économique, morale, identitaire, en moins de trente ans. Ensuite, il peut sembler un rien hâtif d’amalgamer dans « les extrêmes » une gauche radicale ne l’étant pas davantage, radicale, que le mitterrandisme initial (avant le virage libéral de1983), une droite nationale de plus en plus chevènementiste, des groupuscules anarchistes violents, ou bien véritablement néo-nazis, ou encore des sympathisants de l’État Islamique… Il existe une dichotomie sans doute infiniment plus pertinente, celle qui insisterait sur le clivage entre un pôle conservateur et un pôle contestataire. Non pas conservateur au sens moral, on l’aura compris, mais du point de vue du pouvoir. Le « centre » de Ruquier, ce n’est ni plus ni moins que le camp de ceux qui veulent conserver le système tel qu’il existe, parce qu’ils en profitent au mieux. Quant aux prétendus « extrêmes », c’est une manière de désigner ceux qui contestent le pouvoir, d’où qu’ils le fassent, et qui le contestent en général pour l’excellente raison qu’ils en souffrent.
Le scandale Morano
La particularité de ce dispositif médiatique inédit au cours duquel, chaque samedi, un sénat délégitimé tente de décrédibiliser un tribun du peuple isolé dans l’arène, a déjà été parfaitement compris par certains, parmi lesquels : Nadine Morano. La plus prolo des députés des Républicains n’est pas aussi sotte qu’elle le paraît. Son prétendu « dérapage » est exactement le contraire d’une sortie de route. Sa citation polémique de de Gaulle était même le but essentiel de sa venue. Partant d’un constat simple, que dans une configuration telle que celle que nous avons décrite, celui qui est désigné comme ennemi par le cercle médiatique incarne la majorité croissante de l’électorat, il a dû lui sembler que scandaliser ce cercle revenait à agréger les électeurs de manière quasi mécanique et que plus on frappait fort, plus le bénéfice serait important. Ayant également très bien compris que le tabou des tabous de notre époque était relatif à la race, la députée a dû s’imaginer qu’il suffisait de balancer plus ou moins de but en blanc la fameuse citation du Général pour terroriser l’assemblée et fédérer derrière elle une grande partie des téléspectateurs. L’analyse est pertinente, mais la méthode fut pour le moins grossière, artificielle, tellement téléphonée qu’il est difficile de présumer qu’elle réussisse. Mais en mettant aussi nettement les pieds dans le plat (la question traitée ici, on l’aura compris, n’est pas l’à-propos de sa citation), le scandale Morano aura du moins l’immense mérite de révéler trois choses. Premièrement, ce fameux dispositif que nous venons de décrire et la tentative des politiques de s’en servir selon ses nouvelles règles de fonctionnement. Deuxièmement, comment Yann Moix, à l’instar de nombreux de ses confrères et vérifiant les prédictions de Michel Houellebecq est déjà prêt à la « soumission », ne voyant aucun inconvénient à l’islamisation du pays (laquelle, par ailleurs, est censée n’avoir pas lieu). Troisièmement, comment les prétendus héritiers du gaullisme ne partagent plus du tout la conception de la France qui était celle du Général, une conception qui les répugne même au dernier degré.
Prolonger l’usurpation
Pour conclure, on peut remarquer que cette dernière mutation du dispositif est aussi flagrante, radicale, qu’inquiétante. En effet, elle ne traduit ni plus ni moins que la mise en scène, par un pouvoir idéologique, de sa tentative désespérée de prolonger son usurpation. Au lieu d’ouvrir le cercle, la caste médiatique le referme en public sur ce qui la menace, c’est sa manière ambiguë de laisser s’exprimer ce qui discute son hégémonie tout en tentant du même coup de l’étouffer. Certes, elle admet qu’elle n’a plus beaucoup d’intellectuels et d’idées de son côté, mais une poignée de comiques certifiés conformes, de pouffiasses parvenues, de crooners has-been et d’écrivains ratés, résidus des plateaux télé mitterrando-chiraquiens, lui permet néanmoins de faire nasse, du moins à l’écran. En attendant, les 80% de Français qui ne sont pas ou plus de centre-gauche devraient déjà s’estimer heureux, comme l’affirme Léa Salamé (tous les matins sur France Inter, tous les samedis soirs sur France 2), qu’on leur laisse parfois la parole…
Source : Ojim.fr – Dans son dernier numéro, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles consacre sa une et pas moins de sept pages à Éric Zemmour. Pourquoi pas… Après tout, Éric Zemmour est depuis longtemps un phénomène médiatique et ce n’est pas la première fois que l’hebdomadaire consacre sa une au journaliste. Cela avait déjà été le cas en octobre 2014 ou encore en juin 2013, pour les plus récentes.
Mais, cette fois-ci, le dossier est publié uniquement pour promouvoir le livre Une élection ordinaire, une fiction qui imagine la candidature et la victoire du polémiste à l’élection présidentielle de 2017. Un sondage a même été réalisé à cette occasion, histoire de savoir si les Français valident le choix du romancier ! Sacrée promotion pour un simple bouquin.
Il faut dire que son auteur n’est autre que Geoffroy Lejeune, rédacteur en chef politique de Valeurs Actuelles… Comme dit le proverbe : on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Dans les médias français, selon que vous serez Zemmour ou Kassovitz, les règles du débat d’idées ne suivront pas les mêmes normes, cette distorsion révélant la mainmise structurelle de l’idéologie dominante sur celui-ci.
Jamais, peut-être, la société française n’aura pu assister à un si grand nombre de débats d’idées qu’aujourd’hui : la multiplication des talk-shows et des chaînes de télévision, le succès de ce type de programmes, les records de nombre de vues des « clashs » rediffusés en extraits sur YouTube, et la prolifération du débat dans tous types d’émissions, que ce soit chez Cyril Hanouna ou chez Frédéric Taddéi en passant par Thierry Ardisson et Laurent Ruquier, donnent l’impression que le débat est partout et que tout est débat. Et nul qui n’y soit convié. Depuis que Canal+, dans les années 80, a pris l’habitude de mêler sur les mêmes plateaux chanteurs de variétés, humoristes, essayistes et politiques, la formule est en effet devenue une norme et il est désormais naturel de voir un rappeur à peine alphabétisé contredire un philosophe avec le soutien d’une jeune comédienne en promo, avant que l’animateur lui-même, qui ne se contente plus d’être un simple arbitre, donne son avis sur la question. Sans compter que les réseaux sociaux permettent maintenant au moindre téléspectateur, par la diffusion à l’antenne de tweets sélectionnés, de se glisser dans la mêlée le temps de 140 caractères. Jamais, donc, le débat n’aura été aussi omniprésent et aussi large, et pourtant – paradoxe parmi d’autres dans une époque d’inversion permanente -, jamais, il n’aura été autant verrouillé ! Jamais le panel d’opinions représenté n’aura été aussi restreint, jamais les propos énoncés par les intervenants n’auront été aussi surveillés, dénoncés, punis ; si bien que le bilan de cette évolution reviendrait à constater qu’on a remplacé en trente ans de vieux robinets à deux têtes rouge et bleue par un karcher formidable mais n’inondant tout que d’eau tiède. Ainsi, ce qui pourrait dénoter une grande vitalité du débat public semble, a fortiori, se confondre au contraire avec une ruse du pouvoir idéologique dominant qui consiste à une mise en scène factice de l’unanimité des thèses qu’il défend. Les aspects par lesquels se trahit le plus une telle stratégie sont les aspects saillants, lesquels se divisent en deux catégories : le « coup de gueule » et le « dérapage », car ces moments où le débat déborde révèlent surtout selon quelle logique le débat fonctionne.
Le coup de gueule, de Balavoine à Kassovitz
Contrairement au « dérapage », que nous étudierons plus loin, le « coup de gueule » a bonne presse. Pourtant, il représente un moment de perte de contrôle, de colère, de rupture avec les règles de bonne conduite d’un échange d’idées, tout ce qui devrait normalement le rendre, si ce n’est condamnable, du moins suspect. C’est qu’il est associé à un cri spontané, viscéral, sincère, au nom de la justice, qui viendrait rompre une comédie cynique, et c’est en effet la plupart du temps dans cet esprit qu’il se déroule. Ce qu’on n’a guère voulu percevoir, c’est qu’il pouvait lui-même être instrumentalisé en vue d’une comédie encore plus cynique. L’un des archétypes initiaux du coup de gueule médiatique est celui du chanteur Daniel Balavoine sur Antenne 2, le 19 mars 1980 face à François Mitterrand, alors candidat aux élections présidentielles. Le jeune chanteur, cheveux longs et blouson en cuir, soit le stéréotype du « jeune » de l’époque, commence par quitter le plateau ne voulant pas passer pour « un sale merdeux qui fout la pagaille ». On voit comment le contexte a évolué depuis, puisque l’ « artiste » en colère, se perçoit aujourd’hui instinctivement comme un sage qui libère en la tonnant la vérité, presque un prophète des temps anciens. Mais ce n’est alors pas encore le cas, et l’auteur de Laziza, se découvre d’abord un peu honteux de ses réflexes, avant de s’y livrer lorsqu’on lui enjoint de s’exprimer. Il reproche aux journalistes de ne traiter que de sujets de politique politicienne et non pas d’un certain nombre de dossiers de corruption ou de mauvaise gestion qui lui paraissent autrement plus essentiels. Il a pris des notes, ne s’emporte pas dans le vide, et cite précisément un certain nombre de cas. En outre, il se pose comme représentatif d’une jeunesse qui ne serait pas prise en compte dans les médias. Subvertir un débat convenu et artificiel pour faire surgir la vérité (la vérité des « jeunes » qu’on n’entend pas) et la justice (contre les corruptions politiques), voilà donc sous quelle forme relativement « légendaire » s’inscrira ce premier « clash » – comme on dirait de nos jours.
Entreprise de recyclage
Sauf que cet écho pseudo-légendaire étouffe généralement une autre réalité. Qui aura réellement empoché les bénéfices d’une semblable intervention ? La vérité ? La justice ? La jeunesse ? Non, mais François Mitterrand. On oublie souvent que c’est lui qui, mielleux, subtil, séducteur, conclut le débat en prenant sous son aile le chanteur amadoué, et qui, par ailleurs, gagnera les élections présidentielles. Son règne n’en sera pas moins un sommet de corruption jamais atteint dans la Vème république. D’une certaine manière, on pourrait presque considérer cette séquence comme une métaphore de la prise du pouvoir intellectuel par la gauche mitterrandienne, recyclant cyniquement à son service deux qualités essentielles dont sont doués tant les artistes bas de gamme que la jeunesse en général : un idéalisme précaire allié à une relative absence d’esprit critique. Le comique, le chanteur, le comédien, puis le vanneur, le slammeur, l’égérie de téléréalité, toutes ces catégories professionnelles somme toute assez restreintes, seront jetées dans tous les débats durant les septennats socialistes et après, comme une armée de réserve venant en renfort appuyer la conquête des esprits, et tous, finalement, auront quelque chose de ce Daniel Balavoine circonvenu par le Machiavel des 80’s.
34 ans plus tard…
Le coup de gueule de Balavoine, trente-quatre ans plus tard, ça donne Kassovitz devant Rachida Dati, le 15 novembre dernier dans On n’est pas couchés. Mais beaucoup de temps a passé, si bien que Kassovitz ne se sent nullement illégitime dans sa colère, qu’il n’a pris aucune note et que loin d’exposer le moindre fait précis, il se contente de hurler des vérités générales qu’il n’est vraiment pas la peine de hurler étant donné qu’elles représentent les mots d’ordre de la pensée dominante – mots d’ordre que le ministre invité remettrait en cause par ses positions sarkozystes. Faire son Balavoine chez Ruquier en 2014, cela demande beaucoup d’énergie. En effet, il ne s’agit plus de tenter de court-circuiter la comédie par un cri sincère, mais de jouer le rôle que la gauche mitterrandienne a fourbi à partir de ce cri sincère, en faisant croire, à force de tripes, qu’il ne s’agirait pas seulement d’un vieux rôle éculé. Le réalisateur commence ainsi de suffoquer parce que Rachida Dati vient de dire que la délinquance explosait. Elle a augmenté depuis l’an passé, mais, d’après lui, n’explose pas. C’est pour une telle nuance que l’ « artiste » se met hors de lui. Sauf que comme la délinquance augmente d’année en année depuis trente ans, il est évident que si l’on s’exprime avec un minimum de recul, on peut légitimement affirmer qu’elle explose… « Arrêtez de faire peur aux gens ! » poursuit le redresseur de torts hors de lui, qui se met à évoquer avec rage et de manière confuse « la solidarité des gens dans la rue », gens du commun dont il se ferait le porte-voix comme Balavoine prétendait se faire celui de la jeunesse en 80. Premièrement, on voit mal comment un réalisateur à succès, avec le mode de vie et les fréquentations qui accompagnent une telle situation professionnelle, aurait une position de choix pour produire les analyses purement empiriques dont il tire ses hâtives conclusions. Deuxièmement, ces conclusions sont tellement à rebours de ce que les gens du commun peuvent percevoir, eux, dans leurs villes, que les prétendues vérités ânonnées avec rage par Kassovitz semblent appartenir à une pure fiction qui n’aurait pas encore été sélectionnée pour le prochain festival de Cannes. De quelle solidarité parle-t-il donc ? De celles des racailles entre elles qui agressent en chœur les passants, qui insultent les jeunes femmes n’osant plus rentrer seules chez elles le soir, qui font tellement corps que les citoyens de base n’osent plus intervenir lorsqu’une femme se fait violer devant eux dans les transports publics, qui sont tellement soudées que la moindre fête fédératrice se trouve gâchée depuis quinze ans par les exactions, le harcèlement, le saccage de quelques hordes surgies des RER ?
Licence totale
Ce qui est frappant dans le coup de gueule d’un Kassovitz, c’est à quel point ce genre de numéro est devenu une figure commune et artificielle. À quel point agresser un ministre, sortir de ses gonds dans le cadre d’un débat jusqu’à se montrer presque défiguré par la haine, et tout cela pour ne sortir que des contre-vérités aberrantes que rien de concret ne vient justifier, est devenu, si l’intervenant appartient au camp idéologique dominant, tolérable, inscrit dans les mœurs, convenu ; si bien que l’intervenant en question ne se sent plus bridé par la moindre limite, laisse libre cours à sa colère, sachant qu’il dispose, symboliquement, d’une licence totale. Une licence totale qui sera illustrée quelques jours plus tard par le vanneur professionnel Laurent Baffie, dans l’émission C à vous, quand il se permettra, après le départ du plateau de Frigide Barjot, première égérie de la Manif pour tous, de lâcher un : « Elle est partie, la pute ? » qu’il aurait été bien en mal de placer au sujet d’une autre personnalité comme le remarquait justement Pascal Bories dans Causeur. Ainsi que le note en effet le journaliste, il eût été difficile d’imaginer un « Il est parti, l’enculé ? » en rapport avec le premier marié homosexuel de France. « Dès qu’il s’agit de Frigide Barjot, tout est permis en France ! », s’insurge-t-il encore. Mais nous souhaiterions aller plus loin : la vérité est que face à quiconque qui déroge au politiquement correct, il n’y a plus aucune règle de bienséance qui tienne. Et le parallèle révélateur qui est établi pour cette séquence peut être élargi à de nombreux autres cas.
Cali, Weber
Nous n’en prendrons que deux, significatifs, extraits de l’émission On n’est pas couchés quand le binôme constitué de Zemmour et Naulleau y officiait, parce que ces cas sont restés spécialement célèbres. Il serait amusant de transposer l’esclandre du chanteur Cali, qui voyait le socialiste Azouz Begag venir à sa rescousse pour faire mine de menacer les chroniqueurs après avoir dispersé leurs notes, en imaginant Michel Sardou mis en cause par Aymeric Caron à cause de sa chanson en faveur de la peine capitale (Je suis pour). Envisageons donc Sardou sortant de ses gonds après avoir affirmé à Caron qu’il refusait de parler à un « pigeon du gouvernement », et voyons-le se lever pour faire mine d’agresser le chroniqueur avec le soutien d’un Florian Philippot, autre invité ayant quitté son siège pour l’occasion. Et assistons à la scène invraisemblable de ces deux hommes s’esclaffant, sûrs de leur bon droit, jetant au vent les feuilles du végétarien dépité… Souvenons-nous maintenant du coup de sang du comédien Jacques Weber dans la même émission. Après avoir violemment frappé sur la table, le comédien, à l’instar de Cali, récuse toute légitimité à son interlocuteur : « Je ne veux pas discuter avec lui, ça ne m’intéresse pas ! » Ça n’intéresse pas l’homme de gauche médiatique de discuter avec des personnes qui auraient l’outrecuidance de n’être pas d’accord avec leur vision des choses. On veut bien débattre sur des nuances (l’immigration, pour la France, est-elle : une chance ? un enrichissement ? une régénérescence ? un cadeau des dieux ?), mais surtout pas sur le fond de la question, réglé depuis longtemps par les cardinaux de la doxa. L’objet de la discorde : la situation dans les banlieues, qui ne serait donc pas celle que dénonce Zemmour, mais sans doute celle d’un havre de paix festif et bigarré. En tout cas, l’acteur « parle de faits très précis » et de liens familiaux. Des « faits très précis » allant encore plus loin que le désastre évoqué par Zemmour, tout le monde en a, du moment qu’on ne vit pas dans l’un des rares secteurs privilégiés du pays ; le livre Orange mécanique, de Laurent Obertone, en est plein – tous « validés » par la presse régionale. Alors maintenant, inversons les positions et imaginons, après que Weber, chroniqueur, a parlé du charme ignoré des banlieues françaises, Éric Zemmour, en situation d’invité, perdre soudainement toute contenance, écumer, frapper la table d’un violent coup de poing et se mettre à hurler qu’il ne laissera jamais dire une chose pareille et qu’il parle « de faits très précis », avant d’exposer comment, de toute manière, il refuse de discuter avec Weber, insinuant qu’échanger avec un « gauchiste lobotomisé » ne représente pour lui pas le moindre intérêt.
La traque au dérapage
Or, nous le savons parfaitement, dans l’état des choses actuelles, de telles scènes ne pourraient se produire. Non qu’il s’agisse de le regretter, mais simplement, cette dissymétrie est particulièrement révélatrice. Si d’un côté, l’intervenant qui pousse son discours dans le sens de la Pensée Unique dispose d’une licence presque totale dans la forme et qu’il a donc l’autorisation tacite de s’émanciper des règles de bonne conduite et de sang froid pour assener ce qui soutient le dogme ; d’un autre côté, celui qui, au contraire, y dérogerait, ses idées seraient-elles partagées par une part majoritaire de la population (comme c’est probablement le cas pour Zemmour), non seulement ne dispose d’aucune marge sur la forme, mais encore, se trouve sévèrement condamné sur le fond, présenté comme blasphématoire et signalé comme « dérapage ». Celui-là éructe, insulte, s’emporte, menace dans le cours du débat – mais son attitude est parfaitement tolérée. Celui-ci reste courtois, avenant, argumente – mais il est désigné comme infâme, livré au lynchage, voire poursuivi par la Justice. Et c’est ainsi que la mise en scène du débat devient la mise en scène d’une intimidation. Quel contraste entre un Jacques Weber qui peut hurler, frapper son pupitre, excommunier, pour défendre sa vision positive des banlieues et un Richard Millet, invité chez Taddéi en février 2012, qui, pour exposer sa vision désespérée de la France, humblement, douloureusement et en prenant plusieurs précautions oratoires, se contentant de demander s’il est permis de s’interroger comme il le fait, sans la moindre assertion brutale, se trouvera pourtant exclu du comité de lecture de Gallimard après une cabale déchaînée contre sa personne… Quelle distorsion entre un Kassovitz qui, en vue de louanger un hypothétique « vivre-ensemble » radieux, peut agresser un ministre et presque baver de haine sans que nul ne s’en formalise, et un Zemmour qui, pour avoir dénoncé les échecs flagrants du multiculturalisme dans le cadre de chroniques radios parfaitement formatées, se retrouve assailli de procès et de pétitions afin qu’à défaut de le faire taire ou lui coupe au moins le micro, ce qui est du reste aujourd’hui en passe d’être réalisé.
Logique perverse
Parfois, le système médiatique révèle la nature littéralement perverse de ses procédés. Ainsi, lorsque chez Ardisson, en 2010, Zemmour, pour défendre la police accusée de discrimination, affirmera que la plupart des délinquants sont « noirs et arabes », formule sans doute malheureuse si elle est extraite de son contexte – et bien entendu, elle le sera -, mais dont personne, cependant, ne parviendra jamais à démontrer l’inanité. Quand l’émission sera montée, le passage sera sous-titrée : « Zemmour dérape ! », donnant l’impression, à l’instar des logiques pathologiquement perverses, qu’on a poussé la personne à la « faute » dans le seul but de pouvoir l’en accuser ensuite. Et il arrivera le même genre de mésaventure au philosophe Alain Finkielkraut, poussé à la faute, c’est-à-dire à un « pétage de plomb » qui n’est pas celui d’un prétendu justicier de gauche, mais simplement d’un homme terrassé par les rafales d’agressions délirantes que déchaîneront contre lui, chez Taddéi, le 23 octobre 2013, Abdel Raouf Dafri et Pascal Blanchard. Le « buzz » fabriqué à partir de sa réaction désespérée permettra d’insinuer l’idée que l’homme est bien dément, comme quiconque prétend s’élever contre l’autorité de la Pravda, alors même que c’est la Pravda en question qui l’aura sciemment poussé à la réaction démente.
La forme libérale d’une propagande
Ainsi, très éloigné d’un échange d’idées contradictoires loyal et constructif pouvant éventuellement mener chacun des contradicteurs à une certaine « virilité » dans leur empoigne, le débat public omniprésent tel qu’il est pratiqué dans les médias français n’est qu’un simulacre de débat au service d’une propagande. On présente un échantillon de débateurs sélectionnés selon les critères de la classe dominante : intellectuels de gauche + artistocratie à la botte + politiques. On y jette, comme dans une arène, un « déviant » isolé, et on produit un clash aux vertus pédagogiques comminatoires. Soit le clash est un « coup de gueule », et insinue la violence qu’il est légitime de déchaîner contre toute déviance. Soit il souligne un « dérapage », et il désigne la ligne que le fidèle ne doit pas franchir sous peine d’excommunication, c’est-à-dire de lynchage, de procès ou de mort sociale. Nous ne devons donc pas nous laisser tromper. S’il y a de plus en plus de « débats » dans les médias français, c’est, paradoxalement, qu’il y a de plus en plus de propagande. Et s’il y a de plus en plus de propagande, c’est peut-être qu’il faut endiguer la révolte qui couve de plus en plus.
Crédit photo : capture d’écran vidéo France 2 (DR)
Le plus grand événement médiatico-littéraire de l’année aura donc été produit non par les révélations intimes de l’ancienne maîtresse d’un président dévalué, mais au cours de la promotion d’un pavé sur le déclin de la France, Le Suicide français (Albin Michel), où on aura assisté à la convulsion de tout un système autour d’un journaliste isolé.
Le samedi 4 octobre 2014, une véritable déflagration allait partir du plateau du talk show de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, dont les échos n’allaient cesser de se répercuter dans tous les médias : télévision, radio, presse écrite, et monopoliser les débats sur Internet ou les réseaux sociaux jusqu’à aujourd’hui inclus. La bête médiatique, le monstre polémiste que l’émission avait elle-même suscité et dont, en contrepartie, elle avait tiré une grande partie du carburant de sa propre ascension aux sommets de l’audience, était de retour dans le fauteuil des invités. Et ce fut comme un court-circuit propre à faire sauter les plombs de tout le système médiatique français. L’ancien chroniqueur était accueilli par son ancien patron vis-à-vis duquel il avait toujours fait davantage figure de Frankenstein, une créature ayant totalement échappé à son créateur, un virus dans le réseau rôdé et routinier des médias. D’abord promu pour contraster un peu la courbe mollissante de l’encéphalogramme et exciter l’audience, mais qui menaçait depuis de tout dévaster. Certes, on se réjouissait sans doute du record d’audience que n’allait pas manquer de produire sa venue, mais cette fois-ci, il allait tout de même falloir circonscrire le monstre. Alors même qu’à l’époque où il officiait, celui-ci représentait la voix « droitière » du plateau, compensée par son binôme de gauche, Éric Naulleau, cette double perspective se trouvant arbitrée par un Laurent Ruquier se tenant à peu près à son rôle, désormais, Zemmour s’assiérait sous les lumières comme un incompréhensible intrus cerné dans une logique du tous contre seul. Seul, sur le plateau, sur celui-ci comme sur les nombreux autres qu’il occuperait par la suite, mais pourtant, déjà environné d’une longue rumeur dont on percevait le bruissement sur les réseaux sociaux.
Le retour du roi
Le Suicide français (Albin Michel), d’Eric Zemmour
Sur le forum 18-25 du site www.jeuxvideo.com, des jeunes gens, depuis deux jours, préparaient fébrilement leur samedi soir. Était-ce pour se livrer à une partie de jeu en réseau annexant le week-end entier ? Afin d’élaborer une gigantesque soûlographie ? Non. Ils prévoyaient justement de se « mettre suffisamment la tête » la veille pour ne pas regretter de rester chez eux le lendemain et fixer les yeux sur un écran tout ce qu’il y a de plus classique où devait ressurgir leur idole, une idole n’ayant aucun des attraits de Lara Croft, un maigre intellectuel quinquagénaire faisant la promotion d’un pavé de plus de 500 pages détruisant point par point les coordonnées de l’époque même qui les avait vu naître. Le soir en question, c’est par dizaines qu’ils envahissaient un topic spécialement dédié afin de commenter en direct la prestation d’Éric Zemmour tout en tenant au courant les retardataires de ses dernières sorties. Lorsque le polémiste entra sur le plateau au début de l’émission sous l’ovation des spectateurs, une phrase fusa sur le forum, résumant toute l’excitation qui venait de s’y concentrer : « Le retour du roi ! » Les quelques réfractaires au culte, peut-être deux ou trois internautes, lancèrent bien des anathèmes, la foule n’y répondit même pas. À rebours de tous les clichés véhiculés par les médias en permanence, cette scène extravagante ne prenait pas place sur le forum 60-75 du site nostalgiquesdevichy.com, ou dans une soirée privée organisée par Radio Courtoisie, mais parmi des jeunes gens connectés représentant bien davantage l’avenir du pays que Cohn-Bendit ou Attali, les vieillards triomphants qui ont, depuis quarante ans, établi un règne qui ne se décide pas à offrir une quelconque alternance possible.
Anatomie du Suicide
Ce soir du 4 octobre, toutes les données du traitement médiatique de Zemmour et de son livre vont se mettre en œuvre. Tout d’abord, il faudrait donc rappeler de quel objet il va être question afin de comprendre la manière spéciale dont les médias ont décidé de le traiter. Le Suicide français déroule une espèce de chronologie du désastre, de la mort du Général de Gaulle à nos jours, récapitulant tous les éléments qui ont participé à « suicider » le pays – et dans chaque ordre : économique, politique, moral, esthétique, stratégique. Si l’écriture est souvent assez fruste, emportée par l’efficacité qu’elle vise ; si, en brassant une telle somme de choses si diverses avec des ambitions si profondes, Zemmour est très souvent dans le raccourci, l’approximation, la formule, ces défauts demeurent assez inhérents à son projet : celui de faire un livre de combat dans une situation d’urgence, et un livre qui, pour être efficace, puisse néanmoins être lu par un grand nombre. Il n’en reste pas moins très riche, dégage quelques intuitions lumineuses, et propose en effet comme thèse une certaine « déconstruction de la déconstruction » qui peut, évidemment, être discutée de mille manières, mais qui se trouve en tout cas étayée, cohérente, souvent implacable.
L’idée la plus forte qu’il tente de démontrer – et dans le combat culturel, sans doute la plus stratégique -, est qu’il n’y a pas de « sens de l’Histoire », comme le prétendent sans arrêt les idéologues libéraux/libertaires d’un bord à l’autre de l’Assemblée afin de faire accepter aux Français, par une superstition fataliste, leur déclin, leur déclassement en tous plans, et pourquoi pas, demain, leur remplacement par une nouvelle population. Non, il n’y a pas de « sens de l’Histoire », d’obligation d’en passer par là contre quoi toute rébellion serait immature et stérile, mais, et Zemmour le démontre année après année à travers une liste très importante d’événements symptomatiques, il y a une succession impressionnante de démissions, de renoncements, de choix, de pressions internes et externes diverses qui aboutissent toutes, en se liguant au même faisceau, à la situation actuelle d’une France à l’état de possible mort imminente. Le problème n’est donc pas religieux, au sens d’une fatalité pseudo-progressiste et mondialiste devant quoi il faudrait s’incliner comme le croyant face aux décrets divins, mais le problème est politique et tient à une trahison des élites ayant, sciemment ou non, usé d’une certaine manière de leur responsabilité d’hommes libres et doués d’intelligence. Tradition de la raison critique française, tradition de l’essai polémique qui ne se confond ni avec une thèse ni avec une production de spécialiste, le format et la démarche employés par Éric Zemmour sont a priori naturellement appréhendables par n’importe quel « lettré ».
Stratégie médiatique
Sauf que, nous l’avons dit, l’objectif des chroniqueurs de Ruquier comme de leur patron, n’est pas d’instaurer un débat loyal ou d’établir une critique raisonnable d’un livre dont va être tout juste effleurée la thèse, mais de parvenir enfin à détruire le monstre, en profitant de son retour sur les lieux d’origine de sa puissance, comme si le cercle d’une malédiction pouvait ici trouver sa boucle. La stratégie choisie pour l’abattre n’est cependant pas de viser le cœur avec un pieu, mais, bien au contraire, d’attaquer le plus en marge qu’il soit possible. Qu’importe que, de cette manière, on ne vise jamais le cœur du débat et qu’on ne démonte jamais le fond de l’argumentaire d’Éric Zemmour : la télévision est un flux, l’image impressionne, la célérité des échanges empêche la prise de recul, elle produit naturellement une forme de confusion globale émotive – il suffit donc de créer des impressions à partir du matériau qu’on trouvera pour terrasser la bête au venin de trois fléchettes. 1/Zemmour est un faux prophète. 2/Zemmour ment. 3/Zemmour est fasciste.
Et pour étayer ces accusations, puisqu’on est dans le registre d’un procès, d’une mise à mort médiatique rêvée, pour les étayer, donc, on ne recule devant aucun amalgame ni aucun procédé. Pour démontrer le premier point, on diffuse un extrait d’une émission de juillet dernier au cours de laquelle Éric Zemmour pronostique la défaite de l’Allemagne à la Coupe du monde qu’elle a finalement remportée. Que sur les nombreux pronostics qu’a établis le journaliste, il arrive qu’il se soit trompé, et concernant du football (!), on ne voit guère ce que cela démontre, mais qu’importe puisque cela infuse du moins une idée : celle qu’échouent les prophéties zemmouriennes.
Caron ou le déni par la statistique
Le plan sur lequel va attaquer Aymeric Caron pour exposer, lui, l’idée que Zemmour ment, est le seul qu’il connaisse : celui des saintes statistiques. Les chiffres rassurent toujours les esprits faibles, c’est l’objectivité à la portée des comptables. Et cela participe à nouveau d’une attaque complètement en marge. En effet, la moitié des chiffres présentés par Éric Zemmour dans son livre seraient-ils faux ou tronqués, que ça n’invaliderait pas sa thèse pour autant ! Elle serait seulement très mal étayée… Mais bref, Caron détecte et dénonce un chiffre sur le nombre d’enfants étrangers de moins de quatre ans qui semble en effet impossible. Il a tout à fait raison de le remarquer, mais de là à inférer que l’ensemble de l’argumentaire de Zemmour reprenant la théorie de Renaud Camus sur « Le Grand Remplacement », i.e. la substitution de la population française d’origine par une autre importée d’Afrique, il y a tout de même une conclusion pour le moins hâtive. D’autant que les chiffres qu’il oppose au polémiste comme des tables de la Loi et qui tendraient à prouver que la proportion d’immigrés dans la population est stable depuis des lustres sont à même de faire éclater de rire n’importe quel observateur de son propre quartier. De toute manière, l’immigration est l’angle mort statistique, aucun chiffre ne décrit le phénomène de manière satisfaisante. À partir du moment où la machine assimilationniste française est en panne, il devient impossible de recouper la nationalisation juridique d’une personne et sa francité effective. Les outils statistiques sont donc inopérants pour décrire la réalité. Le débat de chiffres qui s’ensuit n’est plus qu’une diversion sans aucun intérêt. Mais l’on pourra noter, en revanche, comment se révèle la tournure d’esprit particulière du chroniqueur lors de l’émission suivante d’ONPC. En effet, comme Ruquier revient sur le passage de Zemmour notamment en raison des très nombreuses protestations des spectateurs sur le traitement qui lui a été infligé, le présentateur tente de se réconcilier son public en arguant que les ventes faramineuses de son essai – 5000 exemplaires par jour –, sont peut-être aussi une conséquence de son débat avec ses chroniqueurs. Caron, ne supportant pas d’être assimilé de la sorte à un promoteur indirect des écrits d’Éric Zemmour affirme alors qu’on pourrait voir les choses autrement, et, tenant pour acquis les succès commerciaux de Zemmour, prétend que sans son intervention, le livre se serait peut-être écoulé à 10 000, voire 20 000 exemplaires par jour… Immédiatement, l’homme se jette donc sur des chiffres, des chiffres totalement délirants n’ayant d’autre fonction qu’un déni de réel : l’incontestable succès du livre d’Éric Zemmour. Cette réaction spontanée en dit plus long sur les méthodes de Caron que n’importe quelle analyse. On comprend néanmoins l’obsession mathématique du chroniqueur. Lorsqu’il se réfère aux lettres, monsieur a tendance à s’embrouiller, comme quand il prétend ridiculiser l’érudition de Zemmour en citant Schopenhauer brocardant ceux qui citent des auteurs référents, sans s’apercevoir que l’arme qu’il utilise le désigne, en l’occurrence, lui-même comme première cible…
Le lancement de la polémique
Enfin, comment, pour détruire un adversaire idéologique, aurait-on pu se passer d’un bon vieux point Godwin ? C’est facile et toujours efficace, la preuve : l’intervention de Léa Salamé va lancer une polémique qui affolera les médias pour une semaine entière. Reste à savoir, à quel point ces médias sont dupes ou à quel point ils se renvoient le point Godwin comme une balle en tentant à chaque coup de lui conférer un effet plus pervers. Encore une fois, Salamé attaque complètement dans la marge. Le sujet de Zemmour, qui consacre un bref chapitre à Paxton, n’est pas Vichy ni Paxton, d’ailleurs, mais l’entretien par les élites française d’une haine de soi nationale complètement mortifère. L’auteur montre comment la doxa engendrée par l’historien américain faisant de Vichy une incarnation du mal aussi définitive, sinon plus, que le nazisme, va être utilisée dans un but idéologique afin de parvenir à l’équation : France = Vichy = pire qu’Hitler. Evidemment, la démonstration de Zemmour est contrainte de se dérouler sur un terrain périlleux, et le bretteur avance toujours au pas de charge sans prendre peut-être toutes les précautions requises ( et quoiqu’il stipule bien qu’il ne cherche aucunement à réhabiliter Vichy), d’autant qu’il ne s’agit pour lui que d’un élément parmi un vaste catalogue. Mais comme Caron se jette, dans les marges d’une énorme démonstration, sur la statistique improbable ; Léa Salamé se précipite, toujours dans les marges, sur la première possibilité de point Godwin, et transforme les 500 pages de Zemmour en réhabilitation de Pétain, tout en le renvoyant paradoxalement à ses origines juives : celles-ci l’auraient prétendument poussé de manière névrotique à se vouloir plus goy que goy. On admirera ce déterminisme racial, et cette subtilité psychologique.
Une semaine de calomnie
S’en suivra une semaine de calomnie, sur le même mécanisme que l’affaire Millet, que l’affaire Deutsch, que l’affaire Gauchet, sur le même procédé de lynchage hystérique et de mauvaise foi pris en charge par tous les médias dominants en vue de fasciser le déviant sur le mode stalinien. Tout sera utilisé. Le mensonge par Bruno Roger-Petit prétendant, le 6 octobre, sur son blog du Nouvel Obs’ que le discours de Zemmour est : « Il faut réhabiliter Pétain, le bouclier protecteur des Nazis en 1940 », quand bien même Zemmour affirme, durant l’échange en question visible sur la page : « Ce n’est pas la réhabilitation de Pétain. » En outre, souligner que le régime de Vichy, en dépit de toute l’horreur qu’il représente, a paradoxalement protégé les Juifs français tout en se livrant à l’abomination par ailleurs, ne revient pas à reprendre l’antienne du glaive et du bouclier… On vire à la contradiction manifeste aux Inrocks, qui interviewent l’historien Serge Berstein afin que celui-ci donne une leçon d’histoire à Éric Zemmour. Berstein affirme donc que Zemmour a tout faux et explique : « Il est vrai que le quart des Juifs français a été déporté et n’est pas revenu. Le chiffre est moindre que dans d’autres pays. C’est dû d’une part aux effets de protection de la population et d’autre part aux efforts, en tout cas au début, pour essayer de conserver les Juifs français et livrer les Juifs étrangers à l’Allemagne ». Soit, précisément ce qu’affirme Zemmour, qui ne prétend rien de plus… Le 13 octobre, le JDD ira voir l’historien sur lequel s’appuie Zemmour, Alain Michel et titrera : « Le livre de Zemmour ne me concerne pas. », laissant entendre, donc, que l’historien conteste le journaliste. Pourtant, en lisant l’article, on découvre ceci : « L’expression de Zemmour est maladroite. Il aurait fallu dire « entre 90 et 92% », et contrairement à ce qu’affirme Serge Klarsfeld, je ne pense pas que l’on puisse attribuer ces chiffres à la seule action des « Justes parmi les nations », mais principalement à la politique appliquée par le gouvernement de Vichy, qui a freiné l’application de la solution finale en France. » À ce degré de malhonnêteté intellectuelle décomplexée, on sent que la machine déraille complètement. Jacques Attali, sur BFMTV, compare Zemmour à un « traitre glorifié » après l’avoir de nouveau acculé à son ADN juif. Quant à Jean-Jacques Bourdin, le 13 octobre, sur la même chaîne, il ira jusqu’à poser à Éric Zemmour cette question laissant son interlocuteur complètement ébahi : « Vous êtes négationniste, Éric Zemmour ? » Ainsi a-t-on à nouveau quitté l’aire du débat intellectuel depuis longtemps désertée pour s’engouffrer dans le délire collectif. Tout ça pour assimiler à Pétain un homme ne jurant que par de Gaulle.
Collusion des élites
Mais revenons à cette soirée inaugurale du 4 octobre. Zemmour s’y trouve seul contre tous et intervient sur tous les fronts. Cohn-Bendit, Ruquier, Salamé, Caron, Denisot, sont dans la mêlée, mais le cinéaste Xavier Dolan, comme son actrice au bord de l’apoplexie, même s’ils n’entrent pas dans la bataille, partagent le même ennemi. Dolan exprimera son dégoût pour le polémiste le 6 octobre sur Europe 1. Forcément, celui-ci représente une odieuse provocation au tribunal de son univers mental personnel. Néanmoins, personne ne semble relever, quand Dolan pousse un coup de gueule contre les manifestants opposés à la GPA, qu’il y a tout de même quelque chose de légèrement choquant à ce qu’un homosexuel québécois de 25 ans sans enfant vienne tancer brutalement les Français sur leurs choix en matière de politique familiale… La provocation, l’outrance, ne peuvent semble-t-il jamais venir que du même lieu. En tout cas, Zemmour ligue toute l’élite contre lui, phénomène qui devient aussi spectaculaire que transparent sur un plateau de télévision. Politiques, animateurs, journalistes, artistes, tous les représentants du pouvoir politico-médiatico-culturel se trouvent amalgamés d’un coup d’œil par la révulsion que leur inspire Zemmour. Après le plateau d’ONPC, ce sera le reste de la presse qui clamera sa réprobation, puis la classe politique à son tour. De Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS sur LCP à Roselyne Bachelot sur France 5 ou même Pasqua sur Europe 1, sans compter bien entendu les associations prétendument antiracistes, par les voix de Dominique Sopo ou d’Alain Jakubowicz. Tous ne sont plus qu’un seul bloc.
Déni de démocratie, le peuple pue
Et pourtant, dès le début du choc, Léa Salamé l’affirme gravement : « Vous avez gagné, Éric Zemmour… », sous-entendant par là que les idées que celui-ci défend sont désormais majoritaires dans la population française. Mais comment alors ne pas prendre en compte l’invraisemblable distorsion de représentativité qui se joue à l’occasion de la « tournée promotionnelle » de l’essayiste ? Les médias, dans leur immense majorité, l’isolent et l’agressent tout en reconnaissant qu’il a le nombre invisible (de moins en moins invisible) pour lui ! Et ils l’agressent bien sûr soi-disant au nom de la diversité et d’un fallacieux humanisme progressiste que toute leur attitude bat en brèche ! Cette distorsion, si elle ne peut qu’être vérifiée par les ventes record du Suicide français, apparaît de manière plus sensible sur les pages Internet. Chaque article, chaque vidéo, se voient inondés par les commentaires quand ceux-ci ne sont pas purement et simplement fermés. Réalité qui poussera Laurent Ruquier à opérer un debriefing conciliant dans son émission suivante. Ces commentaires soutiennent Zemmour dans des proportions de 50 à 100% selon que les supports vont de la gauche à la droite. Sont-ce des cris de haine ? Des logorrhées xénophobes ? Des discours nazis remixés ? Non ! La plus grande partie de ces posts propose le débat, développe de réelles argumentations, se tient dans un cadre parfaitement rationnel. Ce sont les affiliés aux médias dominants qui se contentent d’invectives, d’injures, de raccourcis infâmants et ferment toute possibilité à l’échange. Et en dépit de cela, par un aveuglement idéologique obstiné, par une surdité démente, cette France-là, qui lit, qui discute, qui développe, qui écrit un français correct et qui, quand elle ne soutient pas totalement l’essayiste, s’étonne au moins du traitement qui lui est réservé, cette France-là est caricaturée et couverte de crachats par la Une de Libé, le 11 octobre, qui titre sur « La France rance d’Éric Zemmour. » Le champ lexical de la moisissure et de la pestilence ne s’étaye que fort peu.
Mais pourquoi le vieux journal de gauche, si célèbre pour ses titres, n’est-il pas allé plus vite à l’essentiel en titrant par exemple : « Le peuple pue. »
La France du repli sur soi… et l’autre
De fait, la stupéfiante semaine médiatique autour d’Éric Zemmour aura confirmé certaines de ses thèses d’une manière spectaculaire. Des élites toutes insidieusement solidaires auront vomi leur bile sur une bête médiatique incarnant le temps de quelques émissions toute la souffrance et l’orgueil d’un peuple méprisé, et auront également révélé le visage cohérent d’une certaine France. Une France du repli sur soi, du repli dans les beaux quartiers et les plateaux de télévision, bien unie derrière ses apparentes divergences, pour fréquenter les mêmes carrés VIP et partager les mêmes maîtresses. Une France de la haine, prête à toutes les calomnies pour faire taire celui qui ose exprimer une opinion divergente ; une France inapte au dialogue et gavée de préjugés sur quiconque se montrerait trop étranger à sa propre culture. Surtout, une France qui panique et perd toute maîtrise rationnelle. En somme, une France qui a peur. Et dont la peur, en effet, n’est sans doute pas seulement nourrie de fantasmes…