Dossier : Selon que vous êtes Zemmour ou Kassovitz, les règles biaisées du « débat public »

Dossier : Selon que vous êtes Zemmour ou Kassovitz, les règles biaisées du « débat public »
Par défaut

Dans les médias français, selon que vous serez Zemmour ou Kassovitz, les règles du débat d’idées ne suivront pas les mêmes normes, cette distorsion révélant la mainmise structurelle de l’idéologie dominante sur celui-ci.

Jamais, peut-être, la société française n’aura pu assister à un si grand nombre de débats d’idées qu’aujourd’hui : la multiplication des talk-shows et des chaînes de télévision, le succès de ce type de programmes, les records de nombre de vues des « clashs » rediffusés en extraits sur YouTube, et la prolifération du débat dans tous types d’émissions, que ce soit chez Cyril Hanouna ou chez Frédéric Taddéi en passant par Thierry Ardisson et Laurent Ruquier, donnent l’impression que le débat est partout et que tout est débat. Et nul qui n’y soit convié. Depuis que Canal+, dans les années 80, a pris l’habitude de mêler sur les mêmes plateaux chanteurs de variétés, humoristes, essayistes et politiques, la formule est en effet devenue une norme et il est désormais naturel de voir un rappeur à peine alphabétisé contredire un philosophe avec le soutien d’une jeune comédienne en promo, avant que l’animateur lui-même, qui ne se contente plus d’être un simple arbitre, donne son avis sur la question. Sans compter que les réseaux sociaux permettent maintenant au moindre téléspectateur, par la diffusion à l’antenne de tweets sélectionnés, de se glisser dans la mêlée le temps de 140 caractères. Jamais, donc, le débat n’aura été aussi omniprésent et aussi large, et pourtant – paradoxe parmi d’autres dans une époque d’inversion permanente -, jamais, il n’aura été autant verrouillé ! Jamais le panel d’opinions représenté n’aura été aussi restreint, jamais les propos énoncés par les intervenants n’auront été aussi surveillés, dénoncés, punis ; si bien que le bilan de cette évolution reviendrait à constater qu’on a remplacé en trente ans de vieux robinets à deux têtes rouge et bleue par un karcher formidable mais n’inondant tout que d’eau tiède. Ainsi, ce qui pourrait dénoter une grande vitalité du débat public semble, a fortiori, se confondre au contraire avec une ruse du pouvoir idéologique dominant qui consiste à une mise en scène factice de l’unanimité des thèses qu’il défend. Les aspects par lesquels se trahit le plus une telle stratégie sont les aspects saillants, lesquels se divisent en deux catégories : le « coup de gueule » et le « dérapage », car ces moments où le débat déborde révèlent surtout selon quelle logique le débat fonctionne.

Le coup de gueule, de Balavoine à Kassovitz

Contrairement au « dérapage », que nous étudierons plus loin, le « coup de gueule » a bonne presse. Pourtant, il représente un moment de perte de contrôle, de colère, de rupture avec les règles de bonne conduite d’un échange d’idées, tout ce qui devrait normalement le rendre, si ce n’est condamnable, du moins suspect. C’est qu’il est associé à un cri spontané, viscéral, sincère, au nom de la justice, qui viendrait rompre une comédie cynique, et c’est en effet la plupart du temps dans cet esprit qu’il se déroule. Ce qu’on n’a guère voulu percevoir, c’est qu’il pouvait lui-même être instrumentalisé en vue d’une comédie encore plus cynique. L’un des archétypes initiaux du coup de gueule médiatique est celui du chanteur Daniel Balavoine sur Antenne 2, le 19 mars 1980 face à François Mitterrand, alors candidat aux élections présidentielles. Le jeune chanteur, cheveux longs et blouson en cuir, soit le stéréotype du « jeune » de l’époque, commence par quitter le plateau ne voulant pas passer pour « un sale merdeux qui fout la pagaille ». On voit comment le contexte a évolué depuis, puisque l’ « artiste » en colère, se perçoit aujourd’hui instinctivement comme un sage qui libère en la tonnant la vérité, presque un prophète des temps anciens. Mais ce n’est alors pas encore le cas, et l’auteur de Laziza, se découvre d’abord un peu honteux de ses réflexes, avant de s’y livrer lorsqu’on lui enjoint de s’exprimer. Il reproche aux journalistes de ne traiter que de sujets de politique politicienne et non pas d’un certain nombre de dossiers de corruption ou de mauvaise gestion qui lui paraissent autrement plus essentiels. Il a pris des notes, ne s’emporte pas dans le vide, et cite précisément un certain nombre de cas. En outre, il se pose comme représentatif d’une jeunesse qui ne serait pas prise en compte dans les médias. Subvertir un débat convenu et artificiel pour faire surgir la vérité (la vérité des « jeunes » qu’on n’entend pas) et la justice (contre les corruptions politiques), voilà donc sous quelle forme relativement « légendaire » s’inscrira ce premier « clash » – comme on dirait de nos jours.

Entreprise de recyclage

Sauf que cet écho pseudo-légendaire étouffe généralement une autre réalité. Qui aura réellement empoché les bénéfices d’une semblable intervention ? La vérité ? La justice ? La jeunesse ? Non, mais François Mitterrand. On oublie souvent que c’est lui qui, mielleux, subtil, séducteur, conclut le débat en prenant sous son aile le chanteur amadoué, et qui, par ailleurs, gagnera les élections présidentielles. Son règne n’en sera pas moins un sommet de corruption jamais atteint dans la Vème république. D’une certaine manière, on pourrait presque considérer cette séquence comme une métaphore de la prise du pouvoir intellectuel par la gauche mitterrandienne, recyclant cyniquement à son service deux qualités essentielles dont sont doués tant les artistes bas de gamme que la jeunesse en général : un idéalisme précaire allié à une relative absence d’esprit critique. Le comique, le chanteur, le comédien, puis le vanneur, le slammeur, l’égérie de téléréalité, toutes ces catégories professionnelles somme toute assez restreintes, seront jetées dans tous les débats durant les septennats socialistes et après, comme une armée de réserve venant en renfort appuyer la conquête des esprits, et tous, finalement, auront quelque chose de ce Daniel Balavoine circonvenu par le Machiavel des 80’s.

34 ans plus tard…

Le coup de gueule de Balavoine, trente-quatre ans plus tard, ça donne Kassovitz devant Rachida Dati, le 15 novembre dernier dans On n’est pas couchés. Mais beaucoup de temps a passé, si bien que Kassovitz ne se sent nullement illégitime dans sa colère, qu’il n’a pris aucune note et que loin d’exposer le moindre fait précis, il se contente de hurler des vérités générales qu’il n’est vraiment pas la peine de hurler étant donné qu’elles représentent les mots d’ordre de la pensée dominante – mots d’ordre que le ministre invité remettrait en cause par ses positions sarkozystes. Faire son Balavoine chez Ruquier en 2014, cela demande beaucoup d’énergie. En effet, il ne s’agit plus de tenter de court-circuiter la comédie par un cri sincère, mais de jouer le rôle que la gauche mitterrandienne a fourbi à partir de ce cri sincère, en faisant croire, à force de tripes, qu’il ne s’agirait pas seulement d’un vieux rôle éculé. Le réalisateur commence ainsi de suffoquer parce que Rachida Dati vient de dire que la délinquance explosait. Elle a augmenté depuis l’an passé, mais, d’après lui, n’explose pas. C’est pour une telle nuance que l’ « artiste » se met hors de lui. Sauf que comme la délinquance augmente d’année en année depuis trente ans, il est évident que si l’on s’exprime avec un minimum de recul, on peut légitimement affirmer qu’elle explose… « Arrêtez de faire peur aux gens ! » poursuit le redresseur de torts hors de lui, qui se met à évoquer avec rage et de manière confuse « la solidarité des gens dans la rue », gens du commun dont il se ferait le porte-voix comme Balavoine prétendait se faire celui de la jeunesse en 80. Premièrement, on voit mal comment un réalisateur à succès, avec le mode de vie et les fréquentations qui accompagnent une telle situation professionnelle, aurait une position de choix pour produire les analyses purement empiriques dont il tire ses hâtives conclusions. Deuxièmement, ces conclusions sont tellement à rebours de ce que les gens du commun peuvent percevoir, eux, dans leurs villes, que les prétendues vérités ânonnées avec rage par Kassovitz semblent appartenir à une pure fiction qui n’aurait pas encore été sélectionnée pour le prochain festival de Cannes. De quelle solidarité parle-t-il donc ? De celles des racailles entre elles qui agressent en chœur les passants, qui insultent les jeunes femmes n’osant plus rentrer seules chez elles le soir, qui font tellement corps que les citoyens de base n’osent plus intervenir lorsqu’une femme se fait violer devant eux dans les transports publics, qui sont tellement soudées que la moindre fête fédératrice se trouve gâchée depuis quinze ans par les exactions, le harcèlement, le saccage de quelques hordes surgies des RER ?

Licence totale

Ce qui est frappant dans le coup de gueule d’un Kassovitz, c’est à quel point ce genre de numéro est devenu une figure commune et artificielle. À quel point agresser un ministre, sortir de ses gonds dans le cadre d’un débat jusqu’à se montrer presque défiguré par la haine, et tout cela pour ne sortir que des contre-vérités aberrantes que rien de concret ne vient justifier, est devenu, si l’intervenant appartient au camp idéologique dominant, tolérable, inscrit dans les mœurs, convenu ; si bien que l’intervenant en question ne se sent plus bridé par la moindre limite, laisse libre cours à sa colère, sachant qu’il dispose, symboliquement, d’une licence totale. Une licence totale qui sera illustrée quelques jours plus tard par le vanneur professionnel Laurent Baffie, dans l’émission C à vous, quand il se permettra, après le départ du plateau de Frigide Barjot, première égérie de la Manif pour tous, de lâcher un : « Elle est partie, la pute ? » qu’il aurait été bien en mal de placer au sujet d’une autre personnalité comme le remarquait justement Pascal Bories dans Causeur. Ainsi que le note en effet le journaliste, il eût été difficile d’imaginer un « Il est parti, l’enculé ? » en rapport avec le premier marié homosexuel de France. « Dès qu’il s’agit de Frigide Barjot, tout est permis en France ! », s’insurge-t-il encore. Mais nous souhaiterions aller plus loin : la vérité est que face à quiconque qui déroge au politiquement correct, il n’y a plus aucune règle de bienséance qui tienne. Et le parallèle révélateur qui est établi pour cette séquence peut être élargi à de nombreux autres cas.

Cali, Weber

Nous n’en prendrons que deux, significatifs, extraits de l’émission On n’est pas couchés quand le binôme constitué de Zemmour et Naulleau y officiait, parce que ces cas sont restés spécialement célèbres. Il serait amusant de transposer l’esclandre du chanteur Cali, qui voyait le socialiste Azouz Begag venir à sa rescousse pour faire mine de menacer les chroniqueurs après avoir dispersé leurs notes, en imaginant Michel Sardou mis en cause par Aymeric Caron à cause de sa chanson en faveur de la peine capitale (Je suis pour). Envisageons donc Sardou sortant de ses gonds après avoir affirmé à Caron qu’il refusait de parler à un « pigeon du gouvernement », et voyons-le se lever pour faire mine d’agresser le chroniqueur avec le soutien d’un Florian Philippot, autre invité ayant quitté son siège pour l’occasion. Et assistons à la scène invraisemblable de ces deux hommes s’esclaffant, sûrs de leur bon droit, jetant au vent les feuilles du végétarien dépité… Souvenons-nous maintenant du coup de sang du comédien Jacques Weber dans la même émission. Après avoir violemment frappé sur la table, le comédien, à l’instar de Cali, récuse toute légitimité à son interlocuteur : « Je ne veux pas discuter avec lui, ça ne m’intéresse pas ! » Ça n’intéresse pas l’homme de gauche médiatique de discuter avec des personnes qui auraient l’outrecuidance de n’être pas d’accord avec leur vision des choses. On veut bien débattre sur des nuances (l’immigration, pour la France, est-elle : une chance ? un enrichissement ? une régénérescence ? un cadeau des dieux ?), mais surtout pas sur le fond de la question, réglé depuis longtemps par les cardinaux de la doxa. L’objet de la discorde : la situation dans les banlieues, qui ne serait donc pas celle que dénonce Zemmour, mais sans doute celle d’un havre de paix festif et bigarré. En tout cas, l’acteur « parle de faits très précis » et de liens familiaux. Des « faits très précis » allant encore plus loin que le désastre évoqué par Zemmour, tout le monde en a, du moment qu’on ne vit pas dans l’un des rares secteurs privilégiés du pays ; le livre Orange mécanique, de Laurent Obertone, en est plein – tous « validés » par la presse régionale. Alors maintenant, inversons les positions et imaginons, après que Weber, chroniqueur, a parlé du charme ignoré des banlieues françaises, Éric Zemmour, en situation d’invité, perdre soudainement toute contenance, écumer, frapper la table d’un violent coup de poing et se mettre à hurler qu’il ne laissera jamais dire une chose pareille et qu’il parle « de faits très précis », avant d’exposer comment, de toute manière, il refuse de discuter avec Weber, insinuant qu’échanger avec un « gauchiste lobotomisé » ne représente pour lui pas le moindre intérêt.

La traque au dérapage

Or, nous le savons parfaitement, dans l’état des choses actuelles, de telles scènes ne pourraient se produire. Non qu’il s’agisse de le regretter, mais simplement, cette dissymétrie est particulièrement révélatrice. Si d’un côté, l’intervenant qui pousse son discours dans le sens de la Pensée Unique dispose d’une licence presque totale dans la forme et qu’il a donc l’autorisation tacite de s’émanciper des règles de bonne conduite et de sang froid pour assener ce qui soutient le dogme ; d’un autre côté, celui qui, au contraire, y dérogerait, ses idées seraient-elles partagées par une part majoritaire de la population (comme c’est probablement le cas pour Zemmour), non seulement ne dispose d’aucune marge sur la forme, mais encore, se trouve sévèrement condamné sur le fond, présenté comme blasphématoire et signalé comme « dérapage ». Celui-là éructe, insulte, s’emporte, menace dans le cours du débat – mais son attitude est parfaitement tolérée. Celui-ci reste courtois, avenant, argumente – mais il est désigné comme infâme, livré au lynchage, voire poursuivi par la Justice. Et c’est ainsi que la mise en scène du débat devient la mise en scène d’une intimidation. Quel contraste entre un Jacques Weber qui peut hurler, frapper son pupitre, excommunier, pour défendre sa vision positive des banlieues et un Richard Millet, invité chez Taddéi en février 2012, qui, pour exposer sa vision désespérée de la France, humblement, douloureusement et en prenant plusieurs précautions oratoires, se contentant de demander s’il est permis de s’interroger comme il le fait, sans la moindre assertion brutale, se trouvera pourtant exclu du comité de lecture de Gallimard après une cabale déchaînée contre sa personne… Quelle distorsion entre un Kassovitz qui, en vue de louanger un hypothétique « vivre-ensemble » radieux, peut agresser un ministre et presque baver de haine sans que nul ne s’en formalise, et un Zemmour qui, pour avoir dénoncé les échecs flagrants du multiculturalisme dans le cadre de chroniques radios parfaitement formatées, se retrouve assailli de procès et de pétitions afin qu’à défaut de le faire taire ou lui coupe au moins le micro, ce qui est du reste aujourd’hui en passe d’être réalisé.

Logique perverse

Parfois, le système médiatique révèle la nature littéralement perverse de ses procédés. Ainsi, lorsque chez Ardisson, en 2010, Zemmour, pour défendre la police accusée de discrimination, affirmera que la plupart des délinquants sont « noirs et arabes », formule sans doute malheureuse si elle est extraite de son contexte – et bien entendu, elle le sera -, mais dont personne, cependant, ne parviendra jamais à démontrer l’inanité. Quand l’émission sera montée, le passage sera sous-titrée : « Zemmour dérape ! », donnant l’impression, à l’instar des logiques pathologiquement perverses, qu’on a poussé la personne à la « faute » dans le seul but de pouvoir l’en accuser ensuite. Et il arrivera le même genre de mésaventure au philosophe Alain Finkielkraut, poussé à la faute, c’est-à-dire à un « pétage de plomb » qui n’est pas celui d’un prétendu justicier de gauche, mais simplement d’un homme terrassé par les rafales d’agressions délirantes que déchaîneront contre lui, chez Taddéi, le 23 octobre 2013, Abdel Raouf Dafri et Pascal Blanchard. Le « buzz » fabriqué à partir de sa réaction désespérée permettra d’insinuer l’idée que l’homme est bien dément, comme quiconque prétend s’élever contre l’autorité de la Pravda, alors même que c’est la Pravda en question qui l’aura sciemment poussé à la réaction démente.

La forme libérale d’une propagande

Ainsi, très éloigné d’un échange d’idées contradictoires loyal et constructif pouvant éventuellement mener chacun des contradicteurs à une certaine « virilité » dans leur empoigne, le débat public omniprésent tel qu’il est pratiqué dans les médias français n’est qu’un simulacre de débat au service d’une propagande. On présente un échantillon de débateurs sélectionnés selon les critères de la classe dominante : intellectuels de gauche + artistocratie à la botte + politiques. On y jette, comme dans une arène, un « déviant » isolé, et on produit un clash aux vertus pédagogiques comminatoires. Soit le clash est un « coup de gueule », et insinue la violence qu’il est légitime de déchaîner contre toute déviance. Soit il souligne un « dérapage », et il désigne la ligne que le fidèle ne doit pas franchir sous peine d’excommunication, c’est-à-dire de lynchage, de procès ou de mort sociale. Nous ne devons donc pas nous laisser tromper. S’il y a de plus en plus de « débats » dans les médias français, c’est, paradoxalement, qu’il y a de plus en plus de propagande. Et s’il y a de plus en plus de propagande, c’est peut-être qu’il faut endiguer la révolte qui couve de plus en plus.

Crédit photo : capture d’écran vidéo France 2 (DR)

Publicité

Les locaux de Vogue envahis par les rats

Les locaux de Vogue envahis par les rats
Par défaut

Il y a des signes qui ne trompent pas. Depuis son déménagement dans le One World Trade Center, la tour qui a remplacé le World Trade Centrer, les locaux de l’emblématique magazine Vogue sont infestés de rats.

Passer des paillettes aux rongeurs, autant dire que les journalistes ne s’y attendaient pas. Anne Wintour, rédactrice en chef mythique du magazine, refuse d’ailleurs de mettre les pieds dans l’immeuble depuis que Vogue y a installé ses locaux, en novembre dernier…

Pour faire face à la situation, autant que faire se peut, le groupe Condé Nast, qui détient Vogue et Vanity Fair, entre autres, a donné aux journalistes des consignes strictes telles que l’interdiction de manger au bureau. Les membres de la rédaction ont en effet eu plus d’une fois la surprise de découvrir, le matin, des crottes de rat sur leur clavier d’ordinateur…

C’est un problème qui dépasse le seul cas du magazine glamour. Depuis plusieurs années, New York est envahi par les rongeurs. Selon les estimations, la ville abriterait aujourd’hui entre 10 et 20 millions de rats… pour 8 millions d’habitants « humains » !

Crédit photo : DR

« 1 kilo et demi de shit » dans la marionnette de Jacques Chirac

« 1 kilo et demi de shit » dans la marionnette de Jacques Chirac
Par défaut

Invité sur LCI dans « La Médiasphère », Philippe Vandel a raconté comment les équipes des « Guignols de l’info » se débrouillaient pour faire descendre de la drogue au festival de Cannes.

Une anecdote pour le moins originale. Interrogé par Julien Arnaud sur le sujet, l’ancien chroniqueur de « Nulle part ailleurs », d’abord surpris, explique : « C’est une histoire extraordinaire que je n’ai jamais racontée. Maintenant on peut le dire. Un jour, ils ont transporté une boulette de shit énorme ».

Une « boulette » d’un kilo et demi qui n’avait pas été planquée n’importe où… Philippe Vandel poursuit en effet : « Pour aller à Cannes, il y avait des semi-remorques avec du matériel, ils l’ont cachée dans la tête de la marionnette de Jacques Chirac qui était président ! »

Et d’ajouter que s’ils avaient choisi cette marionnette précisément, c’est « parce que s’ils se faisaient attraper par la police, le titre aurait été : ‘1 kilo et demi de shit dans la tête de Jacques Chirac’ »…

Closer « dévoile » l’homosexualité de Florian Philippot

Closer "dévoile" l'homosexualité de Florian Philippot
Par défaut

Closer ou l’art de la délicatesse. Cette semaine le magazine « people » publie des photographies du vice-président du Front National, Florian Philippot, en escapade amoureuse à Vienne avec un homme.

Sur quatre pages, les photos volées prises début décembre montrent Philippot main dans la main avec un « journaliste de télévision » présenté comme son compagnon, dont le visage est flouté. Le magazine révèle ainsi publiquement l’homosexualité de l’homme politique. Au passage, Closer avance que c’est Florian Philippot qui aurait dissuadé Marine Le Pen de ne pas participer aux manifestations contre le mariage homosexuel. Des révélations qui ont indigné journalistes et politiques, de tous bords confondus, jugeant inadmissible cet « outing » sauvage. Interrogée ce vendredi matin sur Europe 1, Laurence Pieau, la directrice du magazine, a défendu sa ligne éditoriale en estimant être « dans la lignée de la peoplisation, qui est quelque chose qu’on fait régulièrement à Closer, nous ne sommes pas les seuls d’ailleurs. Florian Philippot est un personnage de premier plan, c’est la personne la plus invitée dans les matinales après Marine Le Pen, le FN est un parti comme les autres, selon ce qui se dit depuis quelques temps… » « Comment peut-on imaginer que le numéro 2 du Front National, qui peut-être appelé au pouvoir si on en croit le FN, peut arriver à des fonctions sans avoir évoqué sa famille, ses relations privées, sans avoir d’épouse, d’amie, d’ami ? Comment peut-on imaginer ça possible en 2014 ? », a-t-elle renchéri. Et de conclure en y voyant également une dimension politique : « Si on veut élargir la question sur un domaine qui n’est pas le nôtre, la vie personnelle de Florian Philippot peut peut-être avoir une influence sur l’absence de prise de position d’une partie de son parti sur le mariage pour tous ».

Crédit photo : blandinelc via Flickr (cc)

La SDJ du Monde réagit aux insultes de son actionnaire, Pierre Bergé

La SDJ du Monde réagit aux insultes de son actionnaire, Pierre Bergé
Par défaut

Après les propos insultants de Pierre Bergé vis-à-vis du feuilletoniste du supplément littéraire, Éric Chevillard, la société des journalistes (SDJ) du quotidien du soir s’est dite « choquée » par son comportement.

Bergé avait, en octobre dernier, jugé « ridicule » que Le Monde critique, via un papier d’Éric Chevillard, l’écrivain Patrick Modiano, alors que celui-ci allait obtenir le prix Nobel quelques jours plus tard. Mardi dernier, suite cette fois à un article positif écrit par Denis Cosnard, Pierre Bergé était revenu sur l’affaire, traitant M. Chevillard de « connard », dans un jeu de mot jugé « facile et déplacé » par la SDJ.

« Nous regrettons que le président du conseil de surveillance du Monde ait cru bon d’ajouter l’insulte à son mécontentement coutumier », a-t-elle publié en réaction. Et de poursuivre : « L’exercice de la critique, qu’elle concerne les arts, les lettres, le théâtre, le cinéma ou la musique, doit demeurer libre. Loin de nous l’idée d’empêcher M. Bergé de s’exprimer publiquement, mais cette intervention nous choque. Elle nuit à l’image de notre journal et à la sérénité du travail de la rédaction. »

Ce n’est pas la première fois que Pierre Bergé s’en prend au journal dont il est actionnaire. En avril 2013, il s’était indigné qu’une publicité pour la Manif pour Tous paraisse dans ses colonnes. Il s’en était également pris à l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde, suite aux éditoriaux du directeur de la rédaction, Jean-Pierre Denis, contre « le mariage pour tous ».

Voir notre infographie du groupe Le Monde ainsi que celle de Pierre Bergé

Crédit photo : drumaboy via Flickr (cc)

Mireille Mathieu fait condamner France Télévisions

Mireille Mathieu fait condamner France Télévisions
Par défaut

Ce mercredi, France Télévisions et son PDG Rémy Pflimlin ont été condamnés ensemble à verser 5 000 euros de dommages et intérêts et 4 000 euros de frais de justice à Mireille Mathieu.

Celle-ci réclamait 100 000 euros de dommage et intérêt après avoir été raillée dans « On n’est pas couché » à la suite de ses propos sur la condamnation des Pussy Riot. Dans une émission russe, Mireille Mathieu avait jugé que ces jeunes filles, envoyées en camp de travail, étaient « un peu inconscientes » et que leur profanation de la cathédrale du Christ-Sauveur (Moscou) était un « sacrilège ».

Par la suite, la chanteuse avait publié un communiqué pour expliquer qu’elle avait été coupée au montage, ce que la chaîne russe a reconnu. Elle en avait profité pour réclamer la clémence vis-à-vis du groupe punk.

Pour la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris, Laurent Ruquier et ses chroniqueurs n’ont pas, dans leurs moqueries, tenu compte de son communiqué. Les juges ont estimé que les propos tenus dans les émissions des 8, 22 et 29 septembre 2012 l’ont été « avec la plus grande légèreté et une absence caractérisée de prudence dans l’expression ».

S’ajoute à cela « une évidente malveillance à l’encontre de Mireille Mathieu, dans le but de la discréditer aux yeux du public, et ce au mépris de la vérité au moyen d’une dénaturation des faits qui ne saurait aucunement être légitimée par un droit à l’humour ».

Crédit photo : markb37uk via Flickr (cc)

Pierre Bergé traite un journaliste du Monde de « connard »

Pierre Bergé traite un journaliste du Monde de « connard »
Par défaut

Connu pour ses coups de sang et son ingérence dans la ligne éditoriale du journal dont il est actionnaire avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse, Pierre Bergé vient de récidiver en traitant un journaliste du Monde de « connard ».

L’origine du conflit remonte au 2 octobre dernier lorsque l’écrivain qui tient le feuilleton littéraire du Monde, Éric Chevillard, publie un article critique sur Patrick Modiano, quelques jours avant qu’il ne reçoive le prix Nobel de littérature. Ce qui a le don de rendre furieux Pierre Bergé.

Il publie alors un tweet assassin, estimant que Le Monde est « ridicule aux yeux du monde entier. Il y a 8 jours il descendait le livre de Modiano. Aujourd’hui Modiano reçoit le prix Nobel. » Et d’ajouter : « Pauvre Chevillard que personne ne lit et qui se venge en démolissant Patrick Modiano prix Nobel de littérature 2014. » Tweet étonnant qui part du principe qu’un prix Nobel ne pourrait plus être soumis à la critique et qui n’hésite pas à manier le cliché de l’écrivain raté « qui se venge en démolissant », et tant pis si Chevillard est un excellent écrivain reconnu par ses pairs et si son article sur Modiano, nuancé et respectueux, ne fait qu’émettre quelques réserves légitimes… (édition abonnés).

Dimanche dernier, lorsque Denis Cosnard, un autre critique littéraire du Monde, publie un article cette fois favorable à Modiano suite à son discours de réception du prix Nobel prononcé à Stockholm, Bergé, envoie un autre tweet : « Chevillard ou Cosnard ? Ou le connard n’est pas celui qu’on pourrait croire ». Jouant avec le nom du second rédacteur, il traite ainsi ouvertement Chevillard de « connard ».

Sur son blog, Éric Chevillard explique que cela fait des mois qu’il « ne répond que par des blagues aux propos insultants de Pierre Bergé à (s)on égard ». S’il accepte que le propriétaire du journal critique ses articles, la « calomnie » passe moins bien.

« Puis voilà que j’apprends qu’il me traite maintenant de connard (sic) depuis la branche de Twitter où il croasse ses imprécations. Cela confine au harcèlement moral, non ? », poursuit-il. Et de conclure : « J’ai donc le choix : ou bien je lui envoie ma démission – mais pourquoi pas des fleurs avec ? Ou bien je m’immole par le feu dans le hall du journal. Ou j’attends plutôt qu’il me vire ; et au moins les choses seront claires. »

Voir notre infographie de Pierre Bergé et du groupe Le Monde

Crédit photo : Parti socialiste via Flickr (cc)

Trompé par un faux témoignage de viol, « Rolling Stone » s’excuse

Trompé par un faux témoignage de viol, « Rolling Stone » s'excuse
Par défaut

Le 19 novembre dernier, le magazine américain Rolling Stone publiait un témoignage choc d’une victime supposé d’un viol collectif à l’université.

Le récit présentait « Jackie », étudiante à l’université de Virginie, qui affirmait avoir été violée lors d’une fête en 2012 par sept étudiants. L’histoire avait ému les États-Unis au point qu’une enquête avait été ouverte et que l’université avait durci son règlement, allant jusqu’à suspendre les activités des fraternités et sororités étudiantes.

Mais le 5 décembre, le Washington Post publiait une contre-enquête mettant en doute le témoignage de la jeune fille, et pointant du doigt les défaillances du récit original. De son côté, la fraternité étudiante mise en cause dans l’affaire a publié un communiqué, arguments solides à l’appui, pour contredire également la version de « Jackie ».

Face à une réalité plus complexe que prévue, le magazine Rolling Stone est revenu sur son enquête et a exprimé ses regrets à ses lecteurs. « Au regard de nouvelles informations, il semble désormais qu’il y ait quelques contradictions dans le témoignage de Jackie, et nous en sommes venus à la conclusion que notre confiance à son égard était une erreur », a écrit le rédacteur en chef du journal, Will Dana, dans un communiqué.

Dans la foulée, des associations féministes ont reproché à Rolling Stone de faire porter la faute sur « Jackie » plutôt que sur son manque de rigueur journalistique, entraînant ainsi, selon elles, un risque de dissuader les jeunes filles victimes d’un vrai viol.

Une fois de plus, le magazine a donc modifié sa version en expliquant cette fois qu’il avait « eu tort d’accepter la demande de Jackie de ne pas contacter ses agresseurs présumés pour recueillir leur version des faits » et que c’est « Rolling Stone qui a commis des erreurs, pas Jackie ».

Dossier : les Décodeurs, bienvenue au Ministère de la Vérité

Dossier : les Décodeurs, bienvenue au Ministère de la Vérité
Par défaut

« Mais qui gardera ces gardiens ? »
Juvénal, Satires.

«Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles.»
Georges Bernanos, La France contre les robots.

Sous couvert de « vérification par les faits » des discours ambiants, le journalisme tend de plus en plus à asséner une vérité révélée au détriment de la controverse, qui seule permet un débat de qualité. Mais en tuant la controverse, c’est également la presse qu’on assassine…

Popularisée dans les années 1990 outre-atlantique, puis importée en France par des sites comme Acrimed, ou Arrêt sur Images, la vérification par les faits (ou fact checking) est une méthode consistant à vérifier l’exactitude des affirmations contenues dans un discours politique. Elle a connu, en France, une recrudescence au début des années 2010, avec notamment l’arrivée de la rubrique « Desintox » de Libération, le « Véritomètre » de la campagne présidentielle 2012 (i>Télé/OWNI) ainsi que le blog affilié au site du Monde, Les Décodeurs. Un blog qui a tout d’abord officié de la fin 2009 au début 2014, moment de la naissance de la rubrique Décodeurs directement adossée au service politique du site. Problème : ce blog, qui se défendait d’être une tribune politique, est devenu, au fil des mois, une véritable institution de la Vérité officielle. Au détriment du pluralisme des opinions.

Manipulations sémantiques, biais idéologiques

La devise affichée par la rubrique du Monde.fr, « vérifier les déclarations, assertions et rumeurs en tous genres », laisse croire qu’une certaine impartialité est de mise dans la méthode des journalistes des Décodeurs. Mais une lecture attentive de leurs travaux permet de constater que leur science de la rectification, si elle a des thèmes tout à fait variés, se déploie beaucoup plus dans certains domaines que d’autres. Outre les articles techniques portant sur la fiscalité, l’économie ou la gouvernance européenne, qui représentent la toile de fond thématique du site, de très nombreux papiers viennent contredire toute critique de nature populiste à l’encontre du gouvernement actuel ou de l’autorité officielle en général. Ces derniers se donnent en effet pour objectif de faire cesser les « rumeurs » répandues par les réseaux sociaux et les milieux de la « réacosphère ». Mais sur la forme, ces correctifs font l’objet d’une présentation tout sauf neutre et s’appuient sur des manipulations sémantiques peu pertinentes, voire anecdotiques.

Samuel LaurentPremier exemple : il est de bon ton, pour le journaliste Samuel Laurent, de qualifier les propos d’Éric Zemmour d’élucubrations lorsque ce dernier s’insurge contre la « théorie du genre ». En cause ? Le fait que l’auteur du Suicide français, ait brandi à l’antenne d’i>Télé un document attestant d’un partenariat entre l’Éducation Nationale et la « ligne azur », un service d’écoute téléphonique pour les adolescents qui s’interrogent sur leur orientation sexuelle. Samuel Laurent, bien étrangement, indique dans son article que l’existence de cette ligne téléphonique est avérée. Il admet tout aussi ouvertement que l’usage qui en est fait par l’Éducation Nationale, est, lui aussi, acté (depuis 2009). Pourquoi, dès lors, qualifier les propos de Zemmour d’ineptie ? Pour la simple raison que l’ennemi public numéro un de la pensée unique a puisé son information sur un site jugé peu fréquentable, celui du polémiste Alain Soral. Samuel Laurent estime ainsi que cette source n’est pas « des plus objectives » tout en reconnaissant dans le paragraphe suivant la véracité de ses informations. Peut-on, dans ce contexte, parler de vérification des faits ? Ne faudrait-il pas plutôt parler de procès d’intention maquillé en entreprise de rétablissement de la vérité factuelle ? À cet égard, le livre d’Éric Zemmour a été interprété selon une grille idéologique manifeste, en le brocardant sur des écarts de chiffres risibles et sans pertinence dans l’économie générale de son propos : par exemple, le nombre avancé par Éric Zemmour de 270 000 mariages mixtes (d’un citoyen français avec un étranger) en 2013 est en réalité de… 231 000. Ce qui remet en cause, à n’en pas douter, l’ensemble de son diagnostic.

Autre sujet sur lequel les Décodeurs ont estimé qu’il fallait rétablir une vérité univoque et incontestable : celui du scénario d’une sortie de l’euro. Le jeune journaliste Maxime Vaudano est convaincu d’être suffisamment compétent pour trancher dans ce débat très clivant, n’en déplaise aux économistes prônant une dissolution de la zone euro. Malgré leur nombre grandissant, et le fait qu’ils comptent dans leurs rangs des économistes reconnus par leurs pairs, et parfois primés, le jeune journaliste considère que les économistes pro-euro constituent malgré tout «l’immense majorité». Sans prendre la peine de pondérer cette majorité à l’aune de la justesse de ses prévisions passées. Jacques Sapir s’est attelé à déconstruire cette tribune pro-euro maquillée en institution objective des faits, au mépris de toute controverse existante sur le sujet. L’économiste de l’EHESS, auteur de La Démondialisation, a ainsi estimé que l’article contenait « des ambiguïtés et des erreurs, parfois si énormes, que l’on se demande s’il ne ressort pas d’une rubrique humoristique ». Au rang desquelles, l’incapacité, pour la France, de rembourser sa dette publique en cas de sortie de l’euro. Jacques Sapir explique en réalité que le principe juridique prévalant, en la matière, est celui de la « lex monetae » : « un État rembourse dans sa monnaie, du moment qu’il a emprunté dans celle-ci, et peu importe le nom de cette dernière […] L’Euro, d’ailleurs, n’est pas assimilable à une mesure relevant du droit européen, mais d’un droit particulier de coordination des Etats membres, ce que vérifie la structure de la Banque Centrale Européenne qui n’a pas supplanté les Banques Centrales des différents États. Il eut suffi au rédacteur de l’article de consulter des juristes qualifiés en la matière, ce qu’il n’a visiblement pas fait.», ajoute-t-il avec sévérité.

Outre les carences juridiques du rédacteur, c’est surtout son incapacité à saisir le problème comme un débat économique qui s’illustre dans l’article. La part belle y est faite au légalisme aveugle, aux arguments d’autorité qui s’appuient sur des instruments de mesure idéologiquement marqués, et qui œuvrent à fermer le débat plutôt qu’à le prolonger. Débat qui est en outre posé en des termes anxiogènes dès le titre de l’article : « la sortie de l’euro prônée par le Front National nous ruinera-t-elle ? ». Il y est immédiatement question d’établir la parenté entre l’idée d’une sortie de l’euro et le Front National, et non comme une question relative à une somme de connaissance, ce qu’est l’économie, et donc sujet à la critique et au débat. Et de conditionner cette question à notre ruine probable. Pour répondre à cette question, la parole est donnée à ceux qui sont concernés, enfin ceux d’un bord, uniquement. Institutions européennes et banques privées sont en effet interrogées, mais nulle mention n’est faite des partisans de la sortie de l’euro, comme l’explique Jacques Sapir : « De cela, les lecteurs du Monde n’en sauront rien, comme ils n’auront pas accès aux différents travaux des partisans d’une sortie de l’Euro ». Tous les experts sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres.

Une arithmétique des absents

C’est donc aussi ce que le site ne dit pas, dans ses articles, qu’il faut avoir en tête. De même que sa démarche. Par exemple, lorsque Samuel Laurent publie un article visant à accréditer les chiffres de la police de la Manif pour tous d’octobre dernier, il le fait en dépit des protestations de personnes présentes sur les lieux, qui affirment qu’il s’agissait d’une véritable marée humaine : à eux la parole ne sera pas donnée. Et en s’appuyant sur l’expertise d’un seul individu, en dépit des controverses fréquentes sur la diversité des méthodes de comptage. Mais le ministère de la Vérité a parlé, sans s’accommoder outre mesure de la pluralité des ressentis, de la complexité de la question. Trancher, c’est ce à quoi Samuel Laurent et ses confrères aspirent : instituer, établir, affirmer, et non pas donner les éléments de réponse à son lectorat, pour qu’il puisse se faire lui-même sa propre idée.

Il conviendra aussi de remarquer que le site fait des affirmations et agissements des membres de la Manif pour tous l’objet d’une étude privilégiée, mais qu’il sera inutile d’espérer y trouver des articles traitant des groupuscules d’extrême-gauche, fussent-t-ils violents, comme les « antifas ». Samuel Laurent ne s’est pas non plus évertué à étudier les chiffres fournis par les manifestants d’autres bords politiques, qui présentent souvent là aussi un écart considérable avec ceux de la police.

Il faudra être bien patient, aussi, pour trouver un quelconque article « décodant » de cette manière les affirmations d’un Aymeric Caron ou d’un Jean-Michel Aphatie : considère-t-on, en dépit de toutes les apparences, que leur discours est apolitique ? On remarque par ailleurs que les grands « absents » de la critique des Décodeurs ne sont pas tant les figures d’une grande famille politique que celles de l’idéologie médiatiquement dominante. Tout ce qui est eurolâtre, libéral et libertaire n’est pas questionné. Et quand ils sont égratignés, c’est pour avoir fait preuve d’un manque de zèle dans l’application du vaste, et obligatoire programme égalitariste, comme le titre de cet article sur « la lente féminisation de la commission européenne » l’illustre bien. On voit bien comment cette proposition rhétorique vise à démontrer que la nécessité de la « féminisation » ne se discute pas : c’est un postulat de départ.

Dans le domaine international, les Décodeurs appliquent tout aussi consciencieusement cette ligne de conduite de la vérification choisie et orientée. Ils auront ainsi manqué de très nombreuses occasions de mettre en lumière les nombreux bidonnages relevant de la propagande de guerre anti-russe qui a cours dans les médias français depuis la fin 2013. Les fonctionnaires du Ministère de la Vérité n’ont pas estimé nécessaire de les soumettre à l’examen : sûrement parce que les manipulations sémantiques triviales ne suffisent pas à arranger des faits décidément bien têtus. La Vérité des Décodeurs est avant tout celle qui peut s’insérer dans un certain récit médiatique, dont la composition relève avant tout de l’effacement pur et simple des faits contradictoires.

La mort de la controverse

Ce qui semble se cacher, derrière cette volonté d’établir une vérité unique, monolithique, pour ainsi dire incontestable, c’est une entreprise même de déconstruction, et de destruction, du goût français pour la controverse. Des lignes de tensions, de fractures, de clivages, qui investissent tout débat. D’annuler aussi l’importance de l’intuition, du ressenti, au profit de l’objectivité axiomatique, en réalité dogmatique. Dans le but d’établir, en somme, un consensus éclairé, providentiel : une vérité révélée. C’est ce que l’historien et sociologue américain Christopher Lasch appelait «l’art perdu de la controverse». Car ce n’est pas tant sur la prétention à tordre les faits pour les insérer dans une vision du monde pré-établie qu’il faut porter la critique aux Décodeurs et, plus généralement au fact checking. Mais contre cette volonté qu’il a de présenter cette entreprise, bien évidemment partisane, en processus scientifique, infaillible, axiologiquement neutre alors qu’elle est politiquement orienté.

Dans son ouvrage intitulé La révolte des élites ou la trahison de la démocratie, paru en 1994, Christopher Lasch explique que le XIXème siècle a constitué l’apogée de la presse ouvertement partisane et polémique. A l’époque les journalistes refusaient d’adhérer à un idéal d’objectivité et de neutralité qu’ils jugeaient fallacieux. C’est pourtant à cette époque que la presse a le plus passionné le peuple américain. Le début de l’âge d’or de la presse écrite, en France, se situe aussi à la toute fin du siècle où se sont illustrés Balzac, Hugo ou Zola. « La presse du XIXème siècle a créé un forum ouvert à tous où l’on disputait avec chaleur des problèmes. Non seulement les journaux rendaient compte des controverses politiques, mais ils y prenaient part, et y entrainant aussi leurs lecteurs. » écrit Christopher Lasch. Mais la professionnalisation du journalisme a tué l’idée d’un journalisme vivant, orienté, pourquoi pas de mauvaise foi : humain et d’essence populaire. « Le déclin de la presse partisane et l’avènement d’un nouveau type de journalisme qui professe des normes rigoureuses d’objectivité ne nous assurent pas un apport constant d’informations utilisables. Si l’information n’est pas produite par un débat public soutenu, elle sera pour l’essentiel au mieux dépourvue de pertinence, et au pire trompeuse et manipulatrice. De plus en plus, l’information est produite par des gens qui désirent promouvoir quelque chose – un produit, une cause, un candidat ou un élu – sans s’en remettre pour cela à ses qualités intrinsèques ni en faire explicitement la réclame en avouant qu’ils y ont un intérêt personnel », ajoute Lasch au terme d’une analyse brillante et prophétique. Ceci explique, d’un même coup, le désintérêt paradoxal mais croissant de la population pour les médias, ainsi que son degré très faible de connaissance de l’actualité et des enjeux majeurs de son temps. Quand les informations ont pour but de couper court au débat, plutôt qu’à l’introduire, de fournir des réponses pré-conçues, au lieu de donner des outils pour voir le monde, il n’est alors pas étonnant qu’elles perdent toute pertinence et qu’elles deviennent un simple bien marchand.« Quand le débat devient un art dont on a perdu le secret, l’information aura beau être aussi facilement accessible que l’on voudra, elle ne laisser aucune marque. Ce que demande la démocratie, c’est un débat public vigoureux, et non de l’information. Bien sûr, elle a également besoin d’information, mais le type d’information dont elle a besoin ne peut être produit que par le débat. Nous ne savons pas quelles choses nous avons besoin de savoir tant que nous n’avons pas posé les bonnes questions, et nous ne pouvons poser les bonnes questions qu’en soumettant nos idées sur le monde à lépreuve de la controverse publique » explique à cet égard Christopher Lasch.

On conseillerait bien aux journalistes des Décodeurs la lecture d’un tel ouvrage. De même que la relecture attentive du chef d’œuvre de George Orwell, 1984, qui dans la description de son effrayant Ministère de la Vérité, semble avoir perçu les prémices de cette dérive autoritariste et élitiste du fact checking. On redoute malheureusement que leur temps de lecture soit tout entier dévoué à l’épluchage de données statistiques officielles, ou de rapports économiques rédigés sous l’influence de leurs employeurs…

Voir aussi : Détenus d’origine étrangère : Le Monde joue avec les mots

Vers la fin des commentaires sur les sites d’info ?

Vers la fin des commentaires sur les sites d'info ?
Par défaut

Outre-Atlantique, de plus en plus de sites d’information suppriment la possibilité pour les utilisateurs de commenter les articles sur le site.

Re/Code, un site sur les nouvelles technologies, a par exemple retiré les commentaires de ses articles la semaine dernière. « On y a longuement réfléchi, puisqu’on accorde de l’importance au point de vue du lecteur. Mais les réseaux sociaux ont continué à croître, et c’est de plus en plus souvent là qu’a lieu l’essentiel des discussions sur nos articles, ce qui rend les commentaires sur le site de moins en moins utiles », expliquait-il.

Et Re/Code est loin d’être le seul à avoir choisi cette voie. En septembre 2013 déjà, le site Popular Science faisait de même, tout comme le site du Pacific Standard, le tout pour les mêmes raisons que Re/Code. Début novembre, le site de Reuteurs a décidé de ne conserver les commentaires que sous les blogs et les tribunes.

Officiellement, ces derniers expliquent ainsi que le débat est plus légitime sur les réseaux sociaux et qu’il n’a plus sa place sur les sites. En réalité, les raisons sont au moins autant, sinon plus, d’ordre financier. « Une bonne modération des commentaires a un coût : en temps si on fait ça en interne, ou en argent si la modération est sous-traitée » (souvent à l’étranger, NDLR), explique Pascal Riché, cofondateur de Rue89 et aujourd’hui directeur adjoint de l’Obs.

Tant pis pour les commentaires pertinents, de plus en plus rares et noyés dans un flot de spams, d’insultes ou de « trolling ». « Nous nous sommes engagés à promouvoir un débat intellectuel vivant, comme nous nous sommes engagés à porter la bonne parole scientifique le plus loin possible. Le problème, c’est quand les trolls et les robots spammeurs submergent le premier, ils diminuent notre capacité à faire le second », avait d’ailleurs expliqué Popular Science suite à l’annonce de sa décision.

En France cependant, les éditeurs ne semblent pas prêts à retirer les commentaires de leur site. Pour le moment.