Dossier : le 28′ d’Arte, « l’actualité autrement » mais tout pareil

Dossier : le 28' d'Arte, « l'actualité autrement » mais tout pareil
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Arte et ses émissions – même si leurs audiences progressent – restent relativement anonymes par rapport aux formats équivalents d’autres chaînes. Peu d’articles et peu de commentaires pour ce débat qui s’agite tous les soirs, sur Arte, vers 20h05. « L’actualité autrement », un slogan qui sonne comme une ambition, une incantation. Ou une diversion ?

L’OJIM a suivi les deux dernières semaines du mois de septembre la façon dont le 28′ d’Arte traitait les sujets d’actualité, « autrement » comme cela est annoncé par la présentatrice de cette émission, Élisabeth Quin. Précisons que la société de production de cette émission est la société ALP (« Adventure Line Productions » [1]), qui a l’audace intellectuelle de réaliser des programmes d’une intensité rare tels que « Au secours, ma maison s’écroule », « Belle toute nue », « Koh Lanta » ou encore « Fort Boyard ». Ce simple élément annexe nous laisse déjà perplexe quant à l’ambition d’une autre actualité.

D’emblée, nous apprenons que le 28′ est un magazine « 100 % bimédia, interactif et participatif ». Nous voilà rassurés. Un seul média nous enfermait, un bimédia devrait ouvrir notre regard sur le monde. Comment a été sélectionné ce second média ? Nous a-t-il été imposé par la technique ou est-ce un outil supplémentaire pour parvenir à attraper « l’autre information » ? Qui met en œuvre ce second média ? Autant de questions qui restent sans réponse.

Qui sont les héros habituels de cette « autre » information [2] ? Nadia Daam, Guillaume Roquette, Renaud Dély (plaisamment surnommé « délit d’opinion ») ou encore Claude Askolovitch. Nous rencontrons toujours les mêmes « marques » dans leur biographie : « Libération », « Le Figaro », « France Inter », « Le Nouvel Observateur », « Le Monde »… avec un léger penchant à gauche pour autant que ce mot veuille encore dire quelque chose.

Par curiosité, intéressons nous à l’une des deux journalistes présentes (et moins connues) tous les soirs sur le petit écran : Nadia Daam. Le rituel du 28′ consiste à ce qu’elle ouvre le débat en posant une question aux invités, question qui vient d’un internaute (qui est cet internaute, comment sa question a-t-elle été sélectionnée, au nom de quel(s) critère(s), le mystère demeure). La lecture d’un de ses propos, rapportés par un article du « Bondy Blog », ne nous lasse pas. À la suite du 21 Avril 2002, Nadia Daam explique : « Ce fut un tel choc pour moi que j’ai démissionné de Libé pour aller vivre à l’étranger, au Mexique » [3]. C’est tout à fait le genre d’actes qui nous rassure quant à la capacité intellectuelle d’aller à la recherche d’une autre information. Rassurons nous elle est revenue… Un point de vue peut-être un peu biaisé et fort bien narré par un journaliste du Monde, dans un récent article [4].

Venons-en au fond

Les sujets nous sont apparus comme largement occidentalisés et européo-centrés. Nous comprenons que nous sommes sur la chaîne franco-allemande mais l’information autre n’est-elle pas aussi une information décentrée ? Sur la période concernée, les sujets traités vont de Obama à Marcel Duchamp en passant par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’engagement français en Irak, la crise franco-allemande, le retour de Sarkozy… Quelques sujets exotiques sont évidemment là pour donner le change mais la dominante « occidentale » aggrave nos suspicions quant à la validité du message d’accroche initial : «l’actualité autrement ».
Les sujets de cette émission sont donc consensuels : par leur choix (l’État providence, la condition noire…), par la façon dont ils sont traités et par les invités présents sur le plateau. Le nombre d’invités (entre trois et quatre) est supposé garantir un point de vue équilibré et contradictoire. Cela ne doit pas faire illusion puisque les invités sont souvent des habitués des grands médias délivrant des messages formatés, immédiatement comestibles et qui ne froissent pas par leur impertinence ou qui suivent la doxa du politiquement correct. C’est le cas lorsque Claude Askolovitch assène une vérité le 26 septembre 2014 : « on a perdu le débat des idées contre le FN ».

Le 24 septembre 2014, sur le plateau du 28′, il était encore possible d’entendre plusieurs personnes s’interroger ingénument sur le « déclin de la puissance américaine dans le monde », et sur « son interventionnisme modéré » Ce n’est pas le meilleur endroit pour débattre de géopolitique mais force est de reconnaître que la profondeur et le recul historiques ne semblent pas être des attributs de « l’autre actualité ». En effet, la liste des interventions extérieures des États-Unis depuis 1945 devrait suffire à rappeler que l’interventionnisme américain n’est pas « modéré », hier comme aujourd’hui. Que le Vietnam, comme la Somalie, comme Cuba, comme l’Afghanistan, comme l’Irak et bien d’autres n’ont pas été l’objet d’un interventionnisme « modéré ». Le plus inquiétant réside dans cette assertion relative au « déclin de la puissance américaine dans le monde ». Elle traduit une conception linéaire et progressiste de l’Histoire, démentie par la réalité plurielle du monde. Ce propos sous-tend une inquiétude face à un monde qui ne serait plus aussi manichéen, plus aussi univoque qu’auparavant, un monde où les États-Unis ne seraient plus forcément les gendarmes du monde. Sur le registre du regret.

Même sur les sujets plus sociétaux, les concepts fixistes sont mis à l’honneur. Exemple avec l’émission du 24 septembre 2014 qui débute ainsi : « Obama est-il de gauche » ? Exemple édifiant de la lecture française d’une réalité américaine qui n’apparaît pas immédiatement transposable.

Malgré la multiplication des formats et des images : « l’actualité en images », « Le Rétroviseur », « Désintox » (rubrique reprise de Libération), « Vu d’ailleurs », « Le drone » ou les caricatures, rien n’y fait. Malgré ces apparats du Nouveau Monde et de la technologie avancée du XXIe siècle, les idées qui prévalent sur le plateau sont celles de l’Ancien Monde, celui du XXe siècle, celui de l’Europe toute-puissante (ou des États-Unis) et de la simplicité idéologique.

Bien sûr, il n’y a que peu de prises de position. Le format est lisse, fluide et les intervenants extérieurs professionnels. Mais l’autre actualité, vantée en début d’émission, est-elle accessible par ces moyens ? Cette débauche d’énergie, de journalistes et d’artefacts techniques sert-elle l’autre actualité ou permet-elle de masquer le fait que ce nouveau monde, instable et bigarré, lui échappe et/ou qu’elle ne lui plaît pas ?

Ceux qui font cette émission évoluent dans un même milieu, dans les mêmes rédactions, fréquentent les mêmes dîners et finissent par penser la même chose. Ne leur jetons pas la pierre car qui pourrait les contraindre à changer de vision du monde, à sortir d’une zone de confort qu’ils ont toujours pratiquée, à s’émanciper d’une pensée tiède qui fait tourbillonner de grands idéaux pour mieux éviter la réalité crue ?

L’ambition de l’émission est pourtant légitime. Qui n’a pas souhaité voir « l’actualité autrement » ? Qui ne serait pas heureux de se voir proposer une actualité « autre » ? Ce transbordement des méthodes de vente et de publicité à un journal qui se positionne comme unique nous interroge : pourquoi utiliser de telles méthodes de persuasion, finalement semblables à d’autres chaînes, pour faire progresser « l’autre » actualité ? Pourquoi cette débauche de flagorneries sémantiques ? Si les outils utilisés sont identiques, la finalité pourra-t-elle être différente ?

La multiplication des façons de voir une réalité toujours présentée sous le même angle, selon les mêmes biais, ne fait qu’exacerber le besoin de vérité et de ré-information, ce même besoin qui s’affiche de plus en plus sur les réseaux sociaux. A quand un débat sur le pourquoi d’un tel fleurissement des sites de ré-information depuis quelques années ? Qu’est-ce que « l’information autrement » ? De tels questionnements permettraient à 28′ d’aborder enfin le cœur de sa problématique et de son positionnement.


Notes

[1] toutelatele.com/marathon-tele-images-alp-naissance-d-un-holding-de-producteurs-269

[2] 28minutes.arte.tv/tout-sur-28/

[3] bondyblog.fr/201410101300/les-multi-talents-de-nadia-daam/

[4] lemonde.fr/idees/article/2014/09/15/regard-biaise_4487627_3232.html

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Dossier : Le Phénomène Zemmour, grenade dans un bunker

Dossier : Le Phénomène Zemmour, grenade dans un bunker
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Le plus grand événement médiatico-littéraire de l’année aura donc été produit non par les révélations intimes de l’ancienne maîtresse d’un président dévalué, mais au cours de la promotion d’un pavé sur le déclin de la France, Le Suicide français (Albin Michel), où on aura assisté à la convulsion de tout un système autour d’un journaliste isolé.

Le samedi 4 octobre 2014, une véritable déflagration allait partir du plateau du talk show de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, dont les échos n’allaient cesser de se répercuter dans tous les médias : télévision, radio, presse écrite, et monopoliser les débats sur Internet ou les réseaux sociaux jusqu’à aujourd’hui inclus. La bête médiatique, le monstre polémiste que l’émission avait elle-même suscité et dont, en contrepartie, elle avait tiré une grande partie du carburant de sa propre ascension aux sommets de l’audience, était de retour dans le fauteuil des invités. Et ce fut comme un court-circuit propre à faire sauter les plombs de tout le système médiatique français. L’ancien chroniqueur était accueilli par son ancien patron vis-à-vis duquel il avait toujours fait davantage figure de Frankenstein, une créature ayant totalement échappé à son créateur, un virus dans le réseau rôdé et routinier des médias. D’abord promu pour contraster un peu la courbe mollissante de l’encéphalogramme et exciter l’audience, mais qui menaçait depuis de tout dévaster. Certes, on se réjouissait sans doute du record d’audience que n’allait pas manquer de produire sa venue, mais cette fois-ci, il allait tout de même falloir circonscrire le monstre. Alors même qu’à l’époque où il officiait, celui-ci représentait la voix « droitière » du plateau, compensée par son binôme de gauche, Éric Naulleau, cette double perspective se trouvant arbitrée par un Laurent Ruquier se tenant à peu près à son rôle, désormais, Zemmour s’assiérait sous les lumières comme un incompréhensible intrus cerné dans une logique du tous contre seul. Seul, sur le plateau, sur celui-ci comme sur les nombreux autres qu’il occuperait par la suite, mais pourtant, déjà environné d’une longue rumeur dont on percevait le bruissement sur les réseaux sociaux.

Le retour du roi

Le Suicide français (Albin Michel), d'Eric Zemmour

Le Suicide français (Albin Michel), d’Eric Zemmour

Sur le forum 18-25 du site www.jeuxvideo.com, des jeunes gens, depuis deux jours, préparaient fébrilement leur samedi soir. Était-ce pour se livrer à une partie de jeu en réseau annexant le week-end entier ? Afin d’élaborer une gigantesque soûlographie ? Non. Ils prévoyaient justement de se « mettre suffisamment la tête » la veille pour ne pas regretter de rester chez eux le lendemain et fixer les yeux sur un écran tout ce qu’il y a de plus classique où devait ressurgir leur idole, une idole n’ayant aucun des attraits de Lara Croft, un maigre intellectuel quinquagénaire faisant la promotion d’un pavé de plus de 500 pages détruisant point par point les coordonnées de l’époque même qui les avait vu naître. Le soir en question, c’est par dizaines qu’ils envahissaient un topic spécialement dédié afin de commenter en direct la prestation d’Éric Zemmour tout en tenant au courant les retardataires de ses dernières sorties. Lorsque le polémiste entra sur le plateau au début de l’émission sous l’ovation des spectateurs, une phrase fusa sur le forum, résumant toute l’excitation qui venait de s’y concentrer : « Le retour du roi ! » Les quelques réfractaires au culte, peut-être deux ou trois internautes, lancèrent bien des anathèmes, la foule n’y répondit même pas. À rebours de tous les clichés véhiculés par les médias en permanence, cette scène extravagante ne prenait pas place sur le forum 60-75 du site nostalgiquesdevichy.com, ou dans une soirée privée organisée par Radio Courtoisie, mais parmi des jeunes gens connectés représentant bien davantage l’avenir du pays que Cohn-Bendit ou Attali, les vieillards triomphants qui ont, depuis quarante ans, établi un règne qui ne se décide pas à offrir une quelconque alternance possible.

Anatomie du Suicide

Ce soir du 4 octobre, toutes les données du traitement médiatique de Zemmour et de son livre vont se mettre en œuvre. Tout d’abord, il faudrait donc rappeler de quel objet il va être question afin de comprendre la manière spéciale dont les médias ont décidé de le traiter. Le Suicide français déroule une espèce de chronologie du désastre, de la mort du Général de Gaulle à nos jours, récapitulant tous les éléments qui ont participé à « suicider » le pays – et dans chaque ordre : économique, politique, moral, esthétique, stratégique. Si l’écriture est souvent assez fruste, emportée par l’efficacité qu’elle vise ; si, en brassant une telle somme de choses si diverses avec des ambitions si profondes, Zemmour est très souvent dans le raccourci, l’approximation, la formule, ces défauts demeurent assez inhérents à son projet : celui de faire un livre de combat dans une situation d’urgence, et un livre qui, pour être efficace, puisse néanmoins être lu par un grand nombre. Il n’en reste pas moins très riche, dégage quelques intuitions lumineuses, et propose en effet comme thèse une certaine « déconstruction de la déconstruction » qui peut, évidemment, être discutée de mille manières, mais qui se trouve en tout cas étayée, cohérente, souvent implacable.

L’idée la plus forte qu’il tente de démontrer – et dans le combat culturel, sans doute la plus stratégique -, est qu’il n’y a pas de « sens de l’Histoire », comme le prétendent sans arrêt les idéologues libéraux/libertaires d’un bord à l’autre de l’Assemblée afin de faire accepter aux Français, par une superstition fataliste, leur déclin, leur déclassement en tous plans, et pourquoi pas, demain, leur remplacement par une nouvelle population. Non, il n’y a pas de « sens de l’Histoire », d’obligation d’en passer par là contre quoi toute rébellion serait immature et stérile, mais, et Zemmour le démontre année après année à travers une liste très importante d’événements symptomatiques, il y a une succession impressionnante de démissions, de renoncements, de choix, de pressions internes et externes diverses qui aboutissent toutes, en se liguant au même faisceau, à la situation actuelle d’une France à l’état de possible mort imminente. Le problème n’est donc pas religieux, au sens d’une fatalité pseudo-progressiste et mondialiste devant quoi il faudrait s’incliner comme le croyant face aux décrets divins, mais le problème est politique et tient à une trahison des élites ayant, sciemment ou non, usé d’une certaine manière de leur responsabilité d’hommes libres et doués d’intelligence. Tradition de la raison critique française, tradition de l’essai polémique qui ne se confond ni avec une thèse ni avec une production de spécialiste, le format et la démarche employés par Éric Zemmour sont a priori naturellement appréhendables par n’importe quel « lettré ».

Stratégie médiatique

Sauf que, nous l’avons dit, l’objectif des chroniqueurs de Ruquier comme de leur patron, n’est pas d’instaurer un débat loyal ou d’établir une critique raisonnable d’un livre dont va être tout juste effleurée la thèse, mais de parvenir enfin à détruire le monstre, en profitant de son retour sur les lieux d’origine de sa puissance, comme si le cercle d’une malédiction pouvait ici trouver sa boucle. La stratégie choisie pour l’abattre n’est cependant pas de viser le cœur avec un pieu, mais, bien au contraire, d’attaquer le plus en marge qu’il soit possible. Qu’importe que, de cette manière, on ne vise jamais le cœur du débat et qu’on ne démonte jamais le fond de l’argumentaire d’Éric Zemmour : la télévision est un flux, l’image impressionne, la célérité des échanges empêche la prise de recul, elle produit naturellement une forme de confusion globale émotive – il suffit donc de créer des impressions à partir du matériau qu’on trouvera pour terrasser la bête au venin de trois fléchettes. 1/Zemmour est un faux prophète. 2/Zemmour ment. 3/Zemmour est fasciste.

Et pour étayer ces accusations, puisqu’on est dans le registre d’un procès, d’une mise à mort médiatique rêvée, pour les étayer, donc, on ne recule devant aucun amalgame ni aucun procédé. Pour démontrer le premier point, on diffuse un extrait d’une émission de juillet dernier au cours de laquelle Éric Zemmour pronostique la défaite de l’Allemagne à la Coupe du monde qu’elle a finalement remportée. Que sur les nombreux pronostics qu’a établis le journaliste, il arrive qu’il se soit trompé, et concernant du football (!), on ne voit guère ce que cela démontre, mais qu’importe puisque cela infuse du moins une idée : celle qu’échouent les prophéties zemmouriennes.

Caron ou le déni par la statistique

Le plan sur lequel va attaquer Aymeric Caron pour exposer, lui, l’idée que Zemmour ment, est le seul qu’il connaisse : celui des saintes statistiques. Les chiffres rassurent toujours les esprits faibles, c’est l’objectivité à la portée des comptables. Et cela participe à nouveau d’une attaque complètement en marge. En effet, la moitié des chiffres présentés par Éric Zemmour dans son livre seraient-ils faux ou tronqués, que ça n’invaliderait pas sa thèse pour autant ! Elle serait seulement très mal étayée… Mais bref, Caron détecte et dénonce un chiffre sur le nombre d’enfants étrangers de moins de quatre ans qui semble en effet impossible. Il a tout à fait raison de le remarquer, mais de là à inférer que l’ensemble de l’argumentaire de Zemmour reprenant la théorie de Renaud Camus sur « Le Grand Remplacement », i.e. la substitution de la population française d’origine par une autre importée d’Afrique, il y a tout de même une conclusion pour le moins hâtive. D’autant que les chiffres qu’il oppose au polémiste comme des tables de la Loi et qui tendraient à prouver que la proportion d’immigrés dans la population est stable depuis des lustres sont à même de faire éclater de rire n’importe quel observateur de son propre quartier. De toute manière, l’immigration est l’angle mort statistique, aucun chiffre ne décrit le phénomène de manière satisfaisante. À partir du moment où la machine assimilationniste française est en panne, il devient impossible de recouper la nationalisation juridique d’une personne et sa francité effective. Les outils statistiques sont donc inopérants pour décrire la réalité. Le débat de chiffres qui s’ensuit n’est plus qu’une diversion sans aucun intérêt. Mais l’on pourra noter, en revanche, comment se révèle la tournure d’esprit particulière du chroniqueur lors de l’émission suivante d’ONPC. En effet, comme Ruquier revient sur le passage de Zemmour notamment en raison des très nombreuses protestations des spectateurs sur le traitement qui lui a été infligé, le présentateur tente de se réconcilier son public en arguant que les ventes faramineuses de son essai – 5000 exemplaires par jour –, sont peut-être aussi une conséquence de son débat avec ses chroniqueurs. Caron, ne supportant pas d’être assimilé de la sorte à un promoteur indirect des écrits d’Éric Zemmour affirme alors qu’on pourrait voir les choses autrement, et, tenant pour acquis les succès commerciaux de Zemmour, prétend que sans son intervention, le livre se serait peut-être écoulé à 10 000, voire 20 000 exemplaires par jour… Immédiatement, l’homme se jette donc sur des chiffres, des chiffres totalement délirants n’ayant d’autre fonction qu’un déni de réel : l’incontestable succès du livre d’Éric Zemmour. Cette réaction spontanée en dit plus long sur les méthodes de Caron que n’importe quelle analyse. On comprend néanmoins l’obsession mathématique du chroniqueur. Lorsqu’il se réfère aux lettres, monsieur a tendance à s’embrouiller, comme quand il prétend ridiculiser l’érudition de Zemmour en citant Schopenhauer brocardant ceux qui citent des auteurs référents, sans s’apercevoir que l’arme qu’il utilise le désigne, en l’occurrence, lui-même comme première cible…

Le lancement de la polémique

Enfin, comment, pour détruire un adversaire idéologique, aurait-on pu se passer d’un bon vieux point Godwin ? C’est facile et toujours efficace, la preuve : l’intervention de Léa Salamé va lancer une polémique qui affolera les médias pour une semaine entière. Reste à savoir, à quel point ces médias sont dupes ou à quel point ils se renvoient le point Godwin comme une balle en tentant à chaque coup de lui conférer un effet plus pervers. Encore une fois, Salamé attaque complètement dans la marge. Le sujet de Zemmour, qui consacre un bref chapitre à Paxton, n’est pas Vichy ni Paxton, d’ailleurs, mais l’entretien par les élites française d’une haine de soi nationale complètement mortifère. L’auteur montre comment la doxa engendrée par l’historien américain faisant de Vichy une incarnation du mal aussi définitive, sinon plus, que le nazisme, va être utilisée dans un but idéologique afin de parvenir à l’équation : France = Vichy = pire qu’Hitler. Evidemment, la démonstration de Zemmour est contrainte de se dérouler sur un terrain périlleux, et le bretteur avance toujours au pas de charge sans prendre peut-être toutes les précautions requises ( et quoiqu’il stipule bien qu’il ne cherche aucunement à réhabiliter Vichy), d’autant qu’il ne s’agit pour lui que d’un élément parmi un vaste catalogue. Mais comme Caron se jette, dans les marges d’une énorme démonstration, sur la statistique improbable ; Léa Salamé se précipite, toujours dans les marges, sur la première possibilité de point Godwin, et transforme les 500 pages de Zemmour en réhabilitation de Pétain, tout en le renvoyant paradoxalement à ses origines juives : celles-ci l’auraient prétendument poussé de manière névrotique à se vouloir plus goy que goy. On admirera ce déterminisme racial, et cette subtilité psychologique.

Une semaine de calomnie

S’en suivra une semaine de calomnie, sur le même mécanisme que l’affaire Millet, que l’affaire Deutsch, que l’affaire Gauchet, sur le même procédé de lynchage hystérique et de mauvaise foi pris en charge par tous les médias dominants en vue de fasciser le déviant sur le mode stalinien. Tout sera utilisé. Le mensonge par Bruno Roger-Petit prétendant, le 6 octobre, sur son blog du Nouvel Obs’ que le discours de Zemmour est : « Il faut réhabiliter Pétain, le bouclier protecteur des Nazis en 1940 », quand bien même Zemmour affirme, durant l’échange en question visible sur la page : « Ce n’est pas la réhabilitation de Pétain. » En outre, souligner que le régime de Vichy, en dépit de toute l’horreur qu’il représente, a paradoxalement protégé les Juifs français tout en se livrant à l’abomination par ailleurs, ne revient pas à reprendre l’antienne du glaive et du bouclier… On vire à la contradiction manifeste aux Inrocks, qui interviewent l’historien Serge Berstein afin que celui-ci donne une leçon d’histoire à Éric Zemmour. Berstein affirme donc que Zemmour a tout faux et explique : « Il est vrai que le quart des Juifs français a été déporté et n’est pas revenu. Le chiffre est moindre que dans d’autres pays. C’est dû d’une part aux effets de protection de la population et d’autre part aux efforts, en tout cas au début, pour essayer de conserver les Juifs français et livrer les Juifs étrangers à l’Allemagne ». Soit, précisément ce qu’affirme Zemmour, qui ne prétend rien de plus… Le 13 octobre, le JDD ira voir l’historien sur lequel s’appuie Zemmour, Alain Michel et titrera : « Le livre de Zemmour ne me concerne pas. », laissant entendre, donc, que l’historien conteste le journaliste. Pourtant, en lisant l’article, on découvre ceci : « L’expression de Zemmour est maladroite. Il aurait fallu dire « entre 90 et 92% », et contrairement à ce qu’affirme Serge Klarsfeld, je ne pense pas que l’on puisse attribuer ces chiffres à la seule action des « Justes parmi les nations », mais principalement à la politique appliquée par le gouvernement de Vichy, qui a freiné l’application de la solution finale en France. » À ce degré de malhonnêteté intellectuelle décomplexée, on sent que la machine déraille complètement. Jacques Attali, sur BFMTV, compare Zemmour à un « traitre glorifié » après l’avoir de nouveau acculé à son ADN juif. Quant à Jean-Jacques Bourdin, le 13 octobre, sur la même chaîne, il ira jusqu’à poser à Éric Zemmour cette question laissant son interlocuteur complètement ébahi : « Vous êtes négationniste, Éric Zemmour ? » Ainsi a-t-on à nouveau quitté l’aire du débat intellectuel depuis longtemps désertée pour s’engouffrer dans le délire collectif. Tout ça pour assimiler à Pétain un homme ne jurant que par de Gaulle.

Collusion des élites

Mais revenons à cette soirée inaugurale du 4 octobre. Zemmour s’y trouve seul contre tous et intervient sur tous les fronts. Cohn-Bendit, Ruquier, Salamé, Caron, Denisot, sont dans la mêlée, mais le cinéaste Xavier Dolan, comme son actrice au bord de l’apoplexie, même s’ils n’entrent pas dans la bataille, partagent le même ennemi. Dolan exprimera son dégoût pour le polémiste le 6 octobre sur Europe 1. Forcément, celui-ci représente une odieuse provocation au tribunal de son univers mental personnel. Néanmoins, personne ne semble relever, quand Dolan pousse un coup de gueule contre les manifestants opposés à la GPA, qu’il y a tout de même quelque chose de légèrement choquant à ce qu’un homosexuel québécois de 25 ans sans enfant vienne tancer brutalement les Français sur leurs choix en matière de politique familiale… La provocation, l’outrance, ne peuvent semble-t-il jamais venir que du même lieu. En tout cas, Zemmour ligue toute l’élite contre lui, phénomène qui devient aussi spectaculaire que transparent sur un plateau de télévision. Politiques, animateurs, journalistes, artistes, tous les représentants du pouvoir politico-médiatico-culturel se trouvent amalgamés d’un coup d’œil par la révulsion que leur inspire Zemmour. Après le plateau d’ONPC, ce sera le reste de la presse qui clamera sa réprobation, puis la classe politique à son tour. De Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS sur LCP à Roselyne Bachelot sur France 5 ou même Pasqua sur Europe 1, sans compter bien entendu les associations prétendument antiracistes, par les voix de Dominique Sopo ou d’Alain Jakubowicz. Tous ne sont plus qu’un seul bloc.

Déni de démocratie, le peuple pue

Et pourtant, dès le début du choc, Léa Salamé l’affirme gravement : « Vous avez gagné, Éric Zemmour… », sous-entendant par là que les idées que celui-ci défend sont désormais majoritaires dans la population française. Mais comment alors ne pas prendre en compte l’invraisemblable distorsion de représentativité qui se joue à l’occasion de la « tournée promotionnelle » de l’essayiste ? Les médias, dans leur immense majorité, l’isolent et l’agressent tout en reconnaissant qu’il a le nombre invisible (de moins en moins invisible) pour lui ! Et ils l’agressent bien sûr soi-disant au nom de la diversité et d’un fallacieux humanisme progressiste que toute leur attitude bat en brèche ! Cette distorsion, si elle ne peut qu’être vérifiée par les ventes record du Suicide français, apparaît de manière plus sensible sur les pages Internet. Chaque article, chaque vidéo, se voient inondés par les commentaires quand ceux-ci ne sont pas purement et simplement fermés. Réalité qui poussera Laurent Ruquier à opérer un debriefing conciliant dans son émission suivante. Ces commentaires soutiennent Zemmour dans des proportions de 50 à 100% selon que les supports vont de la gauche à la droite. Sont-ce des cris de haine ? Des logorrhées xénophobes ? Des discours nazis remixés ? Non ! La plus grande partie de ces posts propose le débat, développe de réelles argumentations, se tient dans un cadre parfaitement rationnel. Ce sont les affiliés aux médias dominants qui se contentent d’invectives, d’injures, de raccourcis infâmants et ferment toute possibilité à l’échange. Et en dépit de cela, par un aveuglement idéologique obstiné, par une surdité démente, cette France-là, qui lit, qui discute, qui développe, qui écrit un français correct et qui, quand elle ne soutient pas totalement l’essayiste, s’étonne au moins du traitement qui lui est réservé, cette France-là est caricaturée et couverte de crachats par la Une de Libé, le 11 octobre, qui titre sur « La France rance d’Éric Zemmour. » Le champ lexical de la moisissure et de la pestilence ne s’étaye que fort peu.

Mais pourquoi le vieux journal de gauche, si célèbre pour ses titres, n’est-il pas allé plus vite à l’essentiel en titrant par exemple : « Le peuple pue. »

La France du repli sur soi… et l’autre

De fait, la stupéfiante semaine médiatique autour d’Éric Zemmour aura confirmé certaines de ses thèses d’une manière spectaculaire. Des élites toutes insidieusement solidaires auront vomi leur bile sur une bête médiatique incarnant le temps de quelques émissions toute la souffrance et l’orgueil d’un peuple méprisé, et auront également révélé le visage cohérent d’une certaine France. Une France du repli sur soi, du repli dans les beaux quartiers et les plateaux de télévision, bien unie derrière ses apparentes divergences, pour fréquenter les mêmes carrés VIP et partager les mêmes maîtresses. Une France de la haine, prête à toutes les calomnies pour faire taire celui qui ose exprimer une opinion divergente ; une France inapte au dialogue et gavée de préjugés sur quiconque se montrerait trop étranger à sa propre culture. Surtout, une France qui panique et perd toute maîtrise rationnelle. En somme, une France qui a peur. Et dont la peur, en effet, n’est sans doute pas seulement nourrie de fantasmes…

Crédit photo : Thesupermat via Wikimedia (cc)

Le Lab d’Europe 1 : règne du superficiel et de l’anecdotique

Le Lab d’Europe 1 : règne du superficiel et de l’anecdotique
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Historique

Lancé en 2011, le Lab est une idée de Denis Olivennes. Il charge Laurent Guimier* d’imaginer pour Europe 1 un site d’actualité politique mêlant réseaux sociaux et revue de presse. Avec Benoit Raphaël, il rassemble une équipe de rédacteurs très jeune, la trentaine en moyenne, très présente sur Twitter.

À son lancement, Laurent Guimier décrivait ainsi le Lab à Erwann Gaucher, blogueur de l’actualité médiatique :

« Nous sommes partis d’une page blanche. On a enlevé tout ce qui nous agace sur les sites d’infos et organisé tout cela avec la plus grande liberté. Le Lab, c’est le meilleur du web politique. Cela peut paraître très immodeste, mais nous sommes dans une démarche novatrice et modeste à la fois. Nous voulons proposer aux internautes de trouver, filtrer, structurer le meilleur de ce qui se dit sur la politique aussi bien sur les sites d’infos que dans les conversations sur les réseaux. L’objectif est vraiment d’être des orpailleurs, de passer le web et les réseaux au tamis pour proposer les pépites aux internautes. L’objectif est de toucher un public plus jeune, intéressé à la politique, habitué à en parler sur les réseaux ».

Où en est-on trois ans plus tard ? Le Lab a réussi son pari : il est à part, il traite différemment l’actualité politique. En accordant la quasi-totalité de la place à l’anecdote, au superficiel, à l’avis de tel ministre sur la phrase de tel député, puis à l’avis d’un ami du député sur l’avis du ministre. L’éternel jeu des bisbilles politiciennes. Le Lab « exploite les déchets de l’information », selon la plume d’Aliocha. On ne peut pourtant pas dire que la presse traditionnelle soit irréprochable sur ce point. Mais là, c’est poussé à l’extrême. Disparu le fond, disparues les grandes idées. De toute façon, il n’y a pas la place d’expliquer une idée un peu complexe : elle ne tiendrait pas en 140 signes. Or l’article doit buzzer sur les réseaux sociaux, occuper l’espace médiatique. Bienvenue au royaume du manichéisme.

Concrètement, comment se présente le Lab ?

Ce site internet présente des articles postés les uns à la suite des autres, un peu comme dans un blog. Certains sont mis en avant avec une plus grande image, et chaque post est accompagné d’un titre accrocheur. Le tutoiement est souvent de rigueur, on appelle par exemple un ministre par son prénom : « Fais gaffe à ce que tu dis sur Jeff », comprendre Jean-François Copé ou « François, Canto a un message pour toi », comprendre François Hollande et Éric Cantona.

Les rédacteurs utilisent également beaucoup le « je » : « Moi je suis UMP et je crois en l’impartialité de la justice » ou « Ça me rappelle de Gaulle condamné à mort par Vichy ».

Ces titres accrocheurs servent également d’effets d’annonces : « Martine va s’exprimer » ou « Il va parler », respectivement pour Martine Aubry ou Nicolas Sarkozy. Une fois arrivé sur la page de l’article, le titre est beaucoup plus classique, référencement dans les moteurs de recherche oblige.

De quels sujets traite le Lab ?

De politique ! Ou plutôt de la vie politicienne. Les politiciens tous pourris ? Il est évident que si les Français se contentent de lire le Lab, c’est bien normal qu’ils finissent par le penser et se désintéresser totalement de la chose publique et de ceux qui nous dirigent. Car le Lab se consacre à ce qui fait du bruit ou à ce qui pourrait en faire. Les rédacteurs cherchent ensuite à récolter les commentaires des uns et des autres sur ces ragots et ces petites phrases. Le Lab aime le superficiel, mais de façon sérieuse, il lui accorde tout crédit, délaissant et décrédibilisant totalement le fond des débats politiques.

À quel public est destiné le Lab ?

Le Lab est destiné à un public « connecté » pour qui les rédacteurs parcourent les réseaux sociaux à la recherche de la petite phrase qui fait polémique. Selon Stratégies.fr, le site revendiquait 900 000 visiteurs uniques en janvier 2014. La moitié de ces visiteurs viennent par les réseaux sociaux, et moins de 15 % par les moteurs de recherche.

L’interactivité ou l’actualité par Twitter

À ses débuts, le site fait appel à des blogueurs et s’efforce de promouvoir l’interactivité. Finalement, les blogueurs désertent rapidement le site et les articles ne sont quasiment jamais commentés. L’interactivité s’est très vite recentrée sur les réseaux sociaux.

Twitter est omniprésent au Lab, les illustrations sont d’ailleurs presque toutes des tweets qui font littéralement l’information. Sur le mois de juillet 2014 par exemple, plus de 20 % des articles se basent sur un tweet, systématiquement inséré dans l’article.

Le Lab emprunte également l’emploi du hashtag au réseau social au petit oiseau bleu. La coupe du monde cet été a ainsi servi de source aux rédacteurs qui justifient leurs articles sur le sujet par un #footpolitique.

C’est la politique du mot-clé et des raccourcis : tout est résumé en un mot, exit le débat constructif.

Twitter et la vie du réseau social deviennent ainsi l’information, le moyen devient un but. Si une information, aussi insignifiante soit-elle, figure sur les réseaux sociaux, alors elle a sa place sur le site du Lab. Un tweet devient un article dont le seul espoir est d’être le plus retweeté. Par exemple cet article publié pour raconter l’histoire d’un tweet de Mennucci se moquant de Jean-Claude Gaudin, où le rédacteur pousse l’enquête (sic) jusqu’à appeler l’auteur du tweet afin de recueillir son sentiment.

Twitter est dans l’ADN du site depuis sa création. Quelques mois à peine après le lancement du site, Paul Larroutourou*, alors rédacteur pour le Lab, interroge François Hollande lors de sa conférence de presse. Il lui demande pourquoi il choisit de ne pas s’exprimer à titre personnel sur Twitter. Le président répond laconiquement, mais plus que la réponse, la question installe encore un peu plus le règne de la réaction immédiate au sein des instances qui nous gouvernent.

Stratégies raconte également cette anecdote, sur l’ancien rédacteur en chef, Antoine Bayet. Il « reçoit des notifications dès qu’un membre du gouvernement tweete, c’est ainsi qu’il a repéré la bourde du community manager de Matignon qui a laissé échapper un tweet à une heure du matin, un dimanche : “In da Face Standard & Poors” (“dans ta face, Standard & Poors”), confondant son compte pro avec son perso. “Je me suis réveillé, j’ai vu ça, j’ai tout de suite fait une capture d’écran”, raconte Antoine Bayet. Résultat : un article publié dans l’heure et un “buzz” médiatique ».

Les rédacteurs se livrent même à des tweets reportages, s’attardant évidemment sur la réflexion anecdotique et la petite phrase, non sur le fond des dossiers évoqués.

Pour le mois de juillet, la palme de partage sur Facebook revient à un post relatant la réclamation d’un député PCF quant à la dissolution de la Ligue de Défense Juive : plus de 9300 « likes » ! La moyenne étant de 291 « likes » par article. Pour Twitter, c’est l’article reprenant toutes les petites phrases de Jean-Louis Debré sur Sarkozy qui a le mieux buzzé : il a été tweeté 2092 fois pour une moyenne générale de 103 tweet par article. Quant à Google+, la moyenne est de 0,6 mention par article.

Les sujets des articles

Nous nous sommes arbitrairement basés sur une étude exhaustive du mois de juillet, lorsque les Français sont à la plage et que de nombreuses « lois bikinis » sont adoptées. Le résultat ? Sur 339 articles, 39 concernent Sarkozy, ses démêlés judiciaires et son retour encore présumé en politique, c’est-à-dire plus d’un par jour. 50 concernent les bisbilles et le combat des chefs à l’UMP, 28 sont consacrés à Hollande et 11 au FN. Le reste se partage aux phrases et commentaires des députés, notamment ceux des frondeurs du PS et aux diverses réactions des uns et des autres à la réforme territoriale.

Les bisbilles politiciennes

C’est l’UMP qui tient le haut du pavé : 50 articles sont consacrés à ses seules disputes pendant le mois de juillet, quasiment deux par jour. Sans oublier en plus de cela les factures de téléphone de Rachida Dati ou celles d’hélicoptères de Fillon, documents à l’appui, sortis par le Lab lui-même ; qui se déclare et qui ne se déclare pas à la course de la présidence du parti ; les avis des uns et des autres… Bref, tout ce qui éloigne les politiciens des nobles buts de la politique, vous le trouverez dans le Lab à la place d’honneur !

Citons également la course à la présidence de l’UDI et les frondeurs du PS. Le FN est plutôt absent du site, sauf si vous tapez une mauvaise adresse, la photo de Marine Le Pen s’affiche alors en grand avec un explicite « Va voir ailleurs si j’y suis ».

La non-information ou la part belle à l’anecdote

Même s’il se passe des choses intéressantes, Le Lab trouve le moyen de traiter ces sujets de façon totalement anecdotique. Et s’il ne se passe rien, pas de soucis, l’anecdote y suppléera.

Les états d’âme des politiciens par exemple, telle l’impatience de ce futur conseiller régional qui envoie un message à son prédécesseur censé démissionner, capture écran du texto à l’appui ou François Hollande qui ressent de l’isolement à l’Élysée et qui, attention, élégance, « mate les QAG comme si c’était un porno ».

Le Lab accorde de manière générale beaucoup de place à des non-événements, tel Sarkozy coincé 20 minutes dans un ascenseur avant sa garde à vue ou les photos prises par les ministres le 14 juillet

La palme du comble de la non-information revient certainement à Thibaut Pézerat* pour son « article » sur la gestion des rouleaux de papier toilette de la ville de Paris, même si Sylvain Chazot* le suit de très près pour avoir relaté comment le député Razzi Hamadi a commencé une interview pour RTL au téléphone avant de la finir dans les studios ainsi que dans sa volonté de nous apprendre que la mairie de Quimper va changer de Marianne. Notons également la question de la décoration personnelle des bureaux des députés et les extraits de portraits chinois de politiciens comme Xavier Bertrand ou Jean-Christophe Cambadélis.

Également au registre de l’anecdotique, les gestes des politiciens, comme Hortefeux qui repousse la caméra d’un journaliste ou les jeux auxquels s’adonnent les députés à l’Assemblée nationale.

Cet été, c’était également la coupe du monde de football, ce qui a grandement occupé les rédacteurs, inquiets de faire partager à leurs lecteurs l’incertitude des sénateurs quant à la possibilité qu’ils regardent le quart de finale France-Allemagne, qui sont les invités de François Hollande pour regarder les matchs ou encore l’avis de François Baroin sur le jeu des Algériens

Les « enquêtes » ou « décryptages » sont également anecdotiques ; combien de fois François Hollande a-t-il dit « je » dans son discours de 14 juillet par exemple.

Un des rendez-vous hebdomadaires du Lab, c’est le compte-rendu des questions au gouvernement (QAG) de l’Assemblée nationale. « Suivez le spectacle des questions au gouvernement ». Oui, oui, le spectacle.

Là encore, les rédacteurs ont le chic pour trouver la bafouille, le mot plus haut que les autres, la réaction d’un député ; même Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, se marre. Un effort d’illustration est tout de même fait : pour ce sujet, des captures d’écrans du direct de France 3 agrémentent les anecdotes.

À la recherche de la petite phrase

Si le Lab ne trouve pas son information sur Twitter, il s’efforce de rechercher ce qui pourrait buzzer dans la presse classique : l’attitude, la phrase ou le mot intéressant pour faire un article « buzzable », selon qu’il est contextualisé ou au contraire coupé de son contexte. Une revue de presse, pompeusement appelée la « curation ». Malgré tout, c’est un des points positifs du Lab, ses rédacteurs ne se contentent pas du fil AFP, mais réalisent une revue de presse intensive des discours des politiciens. Dommage qu’elle ne soit pas consacrée au fond des sujets.

Les petites phrases occupent un tiers des articles du Lab ! Règne de la mesquinerie politicienne, elles sont systématiquement mises en avant, en gras, en caractère plus gros et encadrées de gros guillemets jaunes.

Des articles qui mettent donc en avant la métaphore de Nadine Morano sur les bisbilles à l’UMP, l’intérêt de Valls pour une phrase coquine de Clémenceau, un lapsus d’Yves Jégo ou encore la phrase de Cambadélis qui parodie Jean Gabin.

Qu’elles soient lâchées sur les plateaux de télévision ou sur Twitter, elles sont mises en scène pour leur donner un semblant d’intérêt. Comme lorsque le fils de Sarkozy défend son père sur Twitter et que le rédacteur commente « Louis Sarkozy n’est plus un enfant. Il a aujourd’hui 16 ans, et c’est la première fois que, de mémoire de Lab, on le voit s’exprimer clairement et publiquement sur la situation politique du pays et de son père. Et il assume parfaitement ses propos, la preuve par ce retweet de Guy Birenbaum ».

Les avis des politiciens

Le Lab, c’est également le règne du commentaire ! Celui-ci est présent partout, si certains critiquent une proposition de Ségolène Royal, ils sont tous cités puis le lecteur a droit à ce que pense Mme Royal de ces critiques. Idem pour Martine Aubry et la réforme territoriale, un véritable feuilleton en sept épisodes, disponibles , , , , , et .

Les commentaires des rédacteurs

Parfois un rédacteur a envie de commenter des tweets, il fait donc un article dessus, histoire de donner son avis, comme cet article sur un tweet de Jean-Pierre Lecoq.

Les infos exclusives du Lab

Lorsque le Lab obtient une information, il en fait tout un foin, même si celle-ci n’a aucun intérêt, tel ce coup de fil à Alain Lamassoure qui assure que si Jérôme Lavrilleux est exclu de l’UMP, il le sera également au PPE, son équivalent européen. Ou encore le fait que certains aient été écartés d’une réunion à l’UMP. Les deux seules informations exclusives du Lab que nous ayons trouvées pour ce mois de juillet.

Les exceptions

Quelques rares articles sortent du lot et pourraient être qualifiés de « brève d’actualité », comparés à l’avalanche de « brève anecdotiques » qui inonde le site. Une proposition de loi sur le gaspillage alimentaire ou une contre la GPA. Citons également l’article sur le rejet de la pénalisation des clients des prostitués, l’un des rares articles avec un effort de contextualisation, mais, peut-être, est-ce dû à la dépêche AFP d’où sont tirées les informations.

Les protagonistes du Lab

Celui qui a eu l’idée : Denis Olivennes, PDG d’Europe 1 et Président du directoire de Lagardère Active.

Ceux qui l’ont réalisé : Laurent Guimier, alors en charge de l’information numérique pour le groupe de Lagardère. Il est aujourd’hui à la tête de France Info. Il était aidé de Benoît Raphaël, également actif dans l’élaboration d’autres sites de presse numérique tels Le Plus du Nouvel Obs et Le Post (aujourd’hui Le Huffington Post)

Aurélie Marcireau, elle remplace depuis septembre 2014 Antoine Bayet, également parti à France Info pour diriger l’information numérique et les nouveaux médias. La nouvelle rédactrice en chef du Lab était auparavant rédactrice en chef adjointe à La Chaîne parlementaire (LCP).

Les rédacteurs du Lab

Sylvain Chazot : il se présente ainsi sur le site du Lab : « Après avoir travaillé, entre autres, sur le site d’une radio *un peu* concurrente, j’ai traversé la rue et débarqué au Lab en mars 2014. “Profondément choqué” par principe, je scrute les postures et les positionnements iconoclastes, avec une préférence pour tout ce qui touche au FN. » Il pige également pour France Soir et il est passé par Atlantico, RTL et Ce soir (ou jamais !).

Delphine Legouté : elle se présente ainsi sur le site du Lab : « Arrivée début 2012 lorsque le Lab en était encore à ses balbutiements, j’observe sans relâche nos politiques communiquer, avec un goût prononcé pour la détection des éléments de langage, des sorties de route et des bobards. Signe particulier : PMA et théorie du genre échappent rarement à mon radar. » Elle a également travaillé dans ses stages pour Libération avec une prédilection particulière pour ce qui se rapporte à Marine Le Pen et l’immigration. Elle a également collaboré à Rue89 ainsi qu’à L’Express.

Thibaut Pezerat : il se présente ainsi sur le site du Lab : « Après trois ans de télévision dans une chaîne d’info en trois lettres, je rejoins le Lab en janvier 2013. J’écris sur tout et tous mais je suis spécialisé dans le suivi de l’UMP et du centre. Ma phrase politique préférée ? “J’suis dans mon jacuzzi, t’es dans ta jalousie” ». Il tient également un blog où il a notamment écrit un article vilipendant La Manif pour tous, qui met en évidence le problème du traitement journalistique d’une information qui touche personnellement le rédacteur. « Mais à ce beau combat que l’on livre s’ajoute une problématique plus personnelle. Je suis journaliste. Et les ennemis de ma cause, j’ai dû me les coltiner. » Il a quitté le Lab à la mi-octobre 2014.

Sébastien Tronche : il se présente ainsi sur le site du Lab : « Journaliste au Lab depuis l’été 2012, je suis accroc au #directAN, fan de rappels au règlement, drogué aux questions au gouvernement et aux arcanes du Parlement ». Il a toujours été intéressé par l’actualité parlementaire. Il a un temps animé un blog sur le sujet et ses sujets sur Slate.fr reflètent également cet intérêt. Mais en s’en prenant à certains politiques, il se fait parfois brocarder. Il écrit également pour Médiapart.

Paul Larrouturou : ancien rédacteur pour le Lab alors que nous en lisions tous les articles pour cette étude. Il a maintenant migré vers… Le Petit Journal. Même amour de l’anecdote et du superficiel, il est même très officiellement en charge des off politiques… À l’écran, le vide crève encore plus les yeux qu’à l’écrit. Il se présentait ainsi sur le site du Lab : « Journaliste au Lab depuis août 2011, basque depuis 1986, je navigue entre web et radio, et à scooter (pour mieux suivre François Hollande). J’aime aussi couvrir l’actu de Nicolas Sarkozy en me rasant le matin. Et malgré ce joli (merci papa et maman), mais compliqué nom de famille en commun : non, je ne suis pas le fils de Pierre-Larrouturou-le-politique-qui-est-en-fait-mon-cousin-pas-germain. »

Voir aussi : Denis Olivennes, portrait

Le hacker israélien Ulcan a fait sa première victime

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L’affaire a dépassé le simple canular mal intentionné. Mardi dernier dans la matinée, le père du journaliste de Rue89 Benoît Le Corre est décédé des suites d’un infarctus.

Depuis plusieurs jours, l’homme qui était, selon les médecins, une personne à risque, était victime de harcèlement téléphonique de la part de Grégory Chelli, un hacker franco-israélien qui sévit de plus en plus sur la toile.

Tout commence le 29 juillet lorsque le journaliste publie un article sur le hacker, jugé « mensonger » par ce dernier. Dans la soirée, le site de Rue 89 est victime d’une première attaque informatique, qui sera suivie de quelques autres, revendiquée par « Ulcan ».

Mais c’est mal connaître le jeune homme que de penser qu’il va s’arrêter là. Après avoir appelé directement le journaliste pour l’insulter, celui-ci va également appeler ses propres parents. Dans le premier appel, il leur fait croire que leur fils est mort avant de les insulter. Dans un second temps, Chelli va téléphoner à la police en se faisant passer pour le père de Benoît Le Corre pour leur expliquer qu’il a tué sa famille. La police va alors débarquer brutalement au domicile du couple…

Six semaines plus tard, le père du journaliste, continuellement stressé, vient d’être victime d’un infarctus qui a conduit les médecins à le placer dans un coma artificiel duquel il ne sortira pas. « On ne peut pas clairement établir une corrélation entre le stress et l’infarctus, mais on a envie de dire que ce n’est pas étranger », a estimé un médecin réanimateur.

Plusieurs plaintes ont déjà été déposées comme Grégory Chelli, qui demeure en Israël. Depuis quelques mois, celui-ci redouble d’activité et s’en prend à tous ses adversaires idéologiques (en gros, ceux qui ne partagent pas son « sionisme » absolu) ainsi qu’à leur famille. Ses méfaits vont de l’appel d’insulte au harcèlement des proches jusqu’au dévoilement du casier judiciaire.

Pour le moment, aucune suite n’a été donnée aux différentes plaintes déposées, « en l’absence, semble-t-il, de tout mouvement du côté des autorités israéliennes », explique Pierre Haski. Combien de temps encore l’impunité pourra-t-elle régner ?